L’évolution des prix relatifs avec la productivité

Dès 1890, Alfred Marshall introduisait une perspective temporelle à la détermination des prix avec la loi de l’offre et de la demande :

Ainsi nous pouvons conclure qu’en règle générale, plus courte la période qui nous intéresse, plus grande doit être la part de notre attention qui est accordée à l’influence que la demande exerce sur la valeur; et qu’au contraire, plus cette période sera longue, plus importante sera l’influence exercée par le coût de production sur la valeur. L’influence des changements dans le coût de production prend en règle générale une plus longue période à se réaliser que ce n’est le cas pour l’influence des changements dans la demande.             

Marshall (1890 : livre V, chapitre 3, avant-dernier paragraphe)

Cette note veut simplement montrer la justesse de ce raisonnement. 

Relation étroite des variations de productivité et de prix                                              

Les secteurs qui ont une croissance de leur productivité plus lente que la moyenne de l’économie montrent des coûts relatifs croissants. Leurs produits sont de plus en plus chers par rapport aux produits du secteur à croissance de productivité plus élevée. La figure 1, qui se base sur 58 industries américaines pour la période de 1948 à 2001, confirme la relation inverse entre l’évolution relative de la productivité totale des facteurs et celle du prix. Son auteur, William Nordhaus, conclut :

Les industries à faible croissance relative de productivité (« les industries stagnantes ») montrent une croissance plus élevée des prix relatifs d’une unité de pourcentage par unité de pourcentage. Ce résultat indique que la plupart des gains économiques d’une plus grande croissance de productivité sont transférés aux consommateurs par des prix plus bas. De plus, les différences dans la productivité sur une longue période d’un demi-siècle expliquent environ 85 % de la variance des changements des prix relatifs pour les industries convenablement mesurées. Tandis que les forces sous-jacentes conduisant au changement technologique demeurent un défi, les impacts des changements différentiels de technologie sur les prix ressortent clairement. 

Nordhaus (2008 : 21)

Figure 1

Tendance des prix et de la productivité totale des facteurs
de 58 industries pour la période 1948-2001 (États-Unis)

Source: Nordhaus (2008: 22)  

Stagnation de la productivité des services publics

Les services publics sont-ils un secteur à croissance de productivité plus lente ou stagnante ? La réponse à cette question se complique par les importantes lacunes des statistiques de production, de prix et de productivité dans le secteur gouvernemental. Par exemple, pour mesurer l’évolution du prix de l’hospitalisation, qui totalise près de 30 pour cent des dépenses de santé, Statistique Canada se base sur l’évolution du prix des facteurs qui produisent le service. Les statistiques reflètent ainsi l’hypothèse implicite de l’absence d’une augmentation de la productivité dans le secteur hospitalier. Cette hypothèse est-elle valable ou réaliste pour l’ensemble ou pour la majorité des services publics?

À la suite d’un rapport publié en 2005 sur la mesure de la production et de la productivité du secteur public (Atkinson Review), le Royaume-Uni a pris l’avance pour publier de meilleures mesures de la productivité des services publics. La figure 2 indique l’évolution de 1997 à 2008 de la production, des intrants et de la productivité de l’ensemble des services publics qui représentaient 22 pour cent du PIB en 2008. Au cours de la période, la production a crû de 36,8 pour cent et les intrants ont augmenté de 41,5 pour cent; la productivité a donc diminué de 3,3 pour cent pour une baisse annuelle moyenne légèrement inférieure à 0,3 pour cent.

Figure 2

Production, intrants et productivité de l’ensemble des services publics,

Royaume-Uni, 1997-2008 (indice 1997 = 100)

Source : Phelps et al. (2010 : 4)

Le tableau 1 ventile les résultats sur l’évolution de la productivité pour les différents services publics. Pour trois items, police, défense et autres, qui totalisent le tiers des dépenses, les données reposent encore sur l’hypothèse courante d’une productivité constante. Au cours de la période 1997 à 2008, seulement les deux services les moins importants ont montré une variation positive de leur productivité. Ce n’est pas le cas pour les deux imposants secteurs de la santé et de l’éducation qui affrontent des baisses de productivité.          

Tableau 1

Variations de la productivité des services publics entre 1997 et 2008 au Royaume-Uni

 

Services

Poids dans la consommation finale des administrations

 

 

1997

Productivité

 

2008

 

 

Δ annuel moyen en  %

Soins de santé

31,6

100

91,7

-0,2

Éducation

20,1

100

95,7

-0,4

Services sociaux pour adultes

6,4

100

84,7

-1,5

Administration des services sociaux

1,6

100

107,0

0,6

Services sociaux pour enfants

2.4

100

101,9

0,2

Ordre public et sécurité*

4,3

100

81,4

-1,0

Police

6,2

100

100

Nil

Défense

11,0

100

100

Nil

Autres

17,4

100

100

Nil

Total

100

100

96,7

-0,3

 *Services d’incendies, de justice et des prisons

Source : Phelps et al. (2010 : 6 et 18) 

Conclusion

            Cette note a voulu montrer l’étroite relation entre l’évolution des prix relatifs et celle des productivités des divers secteurs. Malgré les problèmes de mesure toujours présents dans les calculs de la productivité des services publics, ces derniers connaissent tout probablement une croissance de leur productivité plus faible que dans le reste de l’économie. Il en résulte des coûts relatifs croissants qui inciteront tôt ou tard à réorganiser sensiblement leurs modes de production.  

 

BIBLIOGRAPHIE