Dans le contexte des négociations qui s’amorcent pour renouveler l’ALÉNA, un article récent[1] du Metropolitan Policy Program de l’Institut Brookings montre bien l’importance de cibler les biens intermédiaires et les États impliqués, afin d’améliorer notre performance à l’intérieur des chaines de valeur ajoutée nord-américaines.
Selon les données du U.S. Census Bureau, le commerce canadien avec les États-Unis s’établissait à 544 milliards de dollars américains en 2016 et celui du Mexique à 525 milliards, comparativement à 579 milliards pour la Chine et 196 milliards pour le Japon.
En demeurer à une analyse des flux de commerce de produits finis au niveau national et même au niveau des États est insuffisant pour formuler nos politiques de commerce extérieur et nos politiques domestiques pour améliorer notre performance économique.
Quoiqu’au ralenti en termes de croissance, il est indiqué de scruter le rôle des biens intermédiaires dans nos flux de commerce et ce, au niveau des États, des régions métropolitaines et des entreprises impliquées dans les exportations et les importations.[2]
L’importance des biens intermédiaires dans l’ALÉNA
En 2015, l’importation de biens intermédiaires représentait 43 % de la valeur totale des importations américaines. Cette part était encore plus importante (50 %) pour les pays de l’ALÉNA ( le Canada et le Mexique), mais nettement moindre pour l’Union européenne (37 %) et la Chine (28 %). Ces chiffres montrent bien le fort degré d’intégration des économies de l’Amérique du Nord et le rôle clé qu’y jouent les échanges de biens intermédiaires.
L’importance stratégique de certains États
La localisation et la structure industrielle des États américains influencent beaucoup l’importance des biens intermédiaires dans leurs importations internationales. Ainsi, les données du U.S. Census Bureau classifiées selon la définition des biens intermédiaires des Nations Unies indiquent qu’en 2015 le Texas, l’Illinois, le Michigan, l’Ohio et les États de New York et de Washington dominaient les importations américaines de biens intermédiaires. Ces données montrent aussi que le Canada est responsable d’une part importante des importations de ces produits intermédiaires et que, dans certains États, sa part dépasse nettement celle provenant de l’autre partenaire de l’ALÉNA, le Mexique.
Ainsi, la partie supérieure de la colonne de droite du tableau 1 montre que pour certains États, la part du Canada dépasse 50 % pour ce qui est des importations américaines de biens intermédiaires effectuées dans le cadre de l’ALÉNA. La colonne centrale dans la partie inférieure du même tableau montre par contre qu’en valeur ces importations sont beaucoup plus importantes dans les grands États limitrophes des Grands Lacs et du Nord-Est.
Tableau 1
Importations de biens intermédiaires aux États-Unis en provenance du Canada
(certains États, 2015)
État |
en millions de $ américains |
En % des importations totales provenant du Canada et du Mexique |
Montana |
3 233 |
92,0 |
Wyoming |
648 |
84,0 |
Vermont |
2 278 |
82,2 |
Dakota du Nord |
1 374 |
73,2 |
Maine |
1 182 |
68,8 |
Oklahoma |
4 078 |
56,7 |
Illinois |
25 500 |
41,7 |
Michigan |
15 660 |
30,9 |
New York |
11 590 |
19,6 |
Washington |
10 190 |
40,3 |
Ohio |
9 938 |
26,6 |
Pennsylvanie |
7 377 |
24,3 |
L’importance de certains secteurs
Le secteur automobile
L’industrie de l’automobile du Michigan est responsable de 61 % des biens importés par cet État.
L’Ohio importe pour trois milliards de dollars de pièces d’autos, l’Indiana pour plus de deux milliards, le Tennessee deux milliards et le Kentucky près de 11,6 milliards en provenance du Canada et du Mexique.
Le secteur aérospatial
L’État de Washington (la région Seattle-Tacoma) importe plus d’un milliard $ annuellement d’intrants provenant des producteurs du domaine aérospatial canadien.
Le Kansas (la région de Wichita) importe pour environ 700 millions $ de composantes d’avions en provenance du Canada et du Mexique.
L’Arizona importe près de 300 millions $ de jets-turbo et d’hélices provenant du Mexique.
L’énergie
Les États-Unis sont un importateur majeur du secteur énergétique canadien, et l’autorisation du projet d’oléoduc Keystone XL pourrait éventuellement ajouter à cette réalité.
Les importations de pétrole du Canada et du Mexique sont le deuxième produit intermédiaire en importance dans les importations américaines. Ces importations sont destinées aux industries des plastiques et des produits chimiques. Ces importations arrivent en tête dans seize États, dont l’Illinois, le Texas, le Minnesota, l’Oklahoma, l’État de Washington, le Montana et le Colorado.
Conclusion
Nul doute qu’il y a beaucoup à renouveler dans l’ALÉNA pour tenir compte de l’évolution structurelle de l’économie vers le secteur tertiaire, dont l’économie numérique, mais cette évolution ne doit pas amener les négociateurs à négliger les liens très importants établis via les flux de commerce en biens intermédiaires. Une attention toute particulière devra ainsi être portée aux règles d’origine ou de contenu nord-américain.
Osons espérer que les gouvernements réviseront nos politiques touchant l’innovation, la R&D, la formation des ressources humaines, le commerce ainsi que la réglementation et la fiscalité afin d’assurer que nous pourrons continuer de tirer profit de ces flux de biens et de services intermédiaires mutuellement bénéfiques pour les pays membres de l’ALÉNA.
[1] PARILLA, Joseph, How U.S. States rely on the NAFTA supply chain, 31 mars 2017 https://www.brookings.edu/blog/the-avenue/2017/03/30/how-u-s-states-rely-on-the-nafta-supply-chain/
[2] Nous avons abordé ces sujets dans de nombreux blogues dont celui du 23 février intitulé Commerce extérieur du Québec: renforcer la stratégie; celui du 23 janvier Chaines mondiales de valeur ajoutée et protectionnisme: quelques observations; et celui du 20 mars Effets économiques du projet américain d’ajustements fiscaux aux frontières.