Les taxes foncières sont une importante source de revenus fiscaux : en 2012 au Québec, elles rapportaient plus de 10,5 milliards de dollars. Si on réfère aux revenus consolidés des municipalités locales, les taxes foncières totalisaient 9 milliards dont 2,2 étaient spécifiques aux immeubles non résidentiels et industriels; elles représentaient la moitié des revenus de fonctionnement. En 2012-2013, la taxe foncière scolaire procurait 1,6 milliard soit 15% des revenus des commissions scolaires.
Deux assiettes
L’assiette ou la base de la taxe foncière est double : le terrain brut et les améliorations. Cette distinction est fondamentale dans l’étude de l’incidence de cette taxe. En effet, une taxe, qu’elle soit basse ou élevée, n’affecte pas la quantité disponible de terrain brut. Comme elle est une donnée, la rareté du terrain est indépendante de la présence ou non d’une taxe. Pour cette raison, toute taxe sur le sol brut est à la charge du propriétaire qui voit la valeur marchande de son terrain baisser avec l’augmentation de la taxe (si toutefois les autres conditions demeurent les mêmes).
Cette analyse s’applique sur la valeur du sol brut. Le sol peut être plus ou moins aménagé comme la nécessité des pilotis pour asseoir des fondations. Sur ces améliorations, la taxe a un impact. L’incitation à bien aménager le terrain est réduite s’il en résulte une augmentation du compte de taxes.
Qu’en est-il de la taxe foncière sur les bâtiments ? Contrairement au cas d’une taxe sur le terrain brut, la taxe modifie avec le temps la quantité de capital en immeubles. Ainsi, une importante partie de cette taxe est à la charge des consommateurs de ce capital et elle devient alors une taxe sur les services de l’immeuble.
L’évolution des prix des deux assiettes
Il serait intéressant de connaître l’évolution des prix des deux assiettes de l’impôt foncier, le terrain et les structures des maisons existantes. Malheureusement, Statistique Canada publie des indices de prix limités aux logements neufs, ce qui donne un biais à la baisse pour l’indice du prix du terrain. Une bonne source d’information proviendrait d’un traitement des données des rôles d’évaluation municipaux.
Une étude américaine a estimé l’évolution des prix réels, ou ajustés pour l’inflation, du terrain, des maisons existantes et des structures pour la période de 1975 à 2006. Voici leurs conclusions :
Dans la figure, nous traçons les indices de prix réels pour les terrains résidentiels, les maisons existantes, et le coût de remplacement des structures. Les prix réels des terrains ont augmenté par un facteur de 3,7 de 1975 à la mi-2006, tandis que les prix réels du domicile et des structures ont respectivement augmenté de 96 % et de 33 %. (p. 2606–2607)
Prix réels du terrain, des maisons existantes et du coût de remplacement des structures,
États-Unis, 1975-2006
(échelle semi-logarithmique)
Pour une réforme de l’impôt foncier
Comme il a été déjà analysé, la taxe sur le sol brut ne fait que diminuer la valeur du terrain pour son propriétaire. Ce dernier jouit en langage économique d’une rente qui n’est pas fonction de ses actions, mais de celles de la collectivité, comme l’accroissement de la population de l’agglomération. L’augmentation de la valeur du terrain s’apparente à un cadeau versé par la société à ce propriétaire et peut lui être retirée sans enfreindre les principes d’équité et d’efficacité.
Prenons le cas d’une amélioration majeure au réseau routier. La construction d’un pont accroît l’accessibilité des terrains adjacents, donc leur demande, ce qui provoque une augmentation de leurs prix. Cette plus-value ne provient pas de l’action des propriétaires sur leurs terrains, mais de la décision du secteur public d’y construire un pont. Le gouvernement pourrait reprendre cette plus-value par une taxe sur le terrain ou par la tarification des services du pont. L’augmentation du prix des terrains résulte du fait que le secteur public offre un nouveau service qui n’est pas tarifé; toute tarification ferait baisser cette plus-value des terrains.
Ainsi, l’analyse faite de l’incidence de la taxe foncière débouche sur une importante conclusion : les municipalités seraient justifiées d’appliquer des taux différenciés sur les deux assiettes de l’impôt foncier en fixant un taux plus élevé sur la valeur du terrain brut.
Une telle réforme réduirait les coûts d’efficacité pour l’économie des revenus tirés de l’impôt foncier.
Une énigme : le refus d’une telle réforme
Les recommandations d’un double taux pour l’impôt foncier et d’une taxation prononcée du sol ont une longue histoire dans les écrits sur la fiscalité. La question demeure : malgré ses avantages, pourquoi ces recommandations ne sont-elles pas adoptées ? C’est comme si personne ne voulait ramasser le billet de cent dollars égaré sur le trottoir.
Bien sûr, une taxe spécifique sur la valeur des terrains existe depuis des décennies en Nouvelle-Zélande et par les États australiens et aussi des taux différenciés dans quelques villes américaines. Ce sont toutefois quelques exceptions qui confirment le refus généralisé de réformer la taxe foncière.