L’INCIDENCE À LA POMPE DE L’ÉCART WTI/BRENT

Jusqu’en 2010, lorsque l’on évoquait le prix du pétrole brut, on se souciait peu de l’écart entre le prix du WTI et celui du BRENT [1]. La divergence entre les deux pouvait être qualifiée de négligeable : 1,39$ d’écart en moyenne de 1987 à 2010, à la faveur du WTI (étant donné sa qualité légèrement supérieure).

Or, depuis 2011, certains facteurs (comme la déstabilisation de la production en Afrique du Nord) ont poussé le prix du BRENT à la hausse tandis que d’autres (comme l’accumulation des stocks à Cushing en Oklahoma) ont poussé le prix du WTI à la baisse. Ainsi, de janvier 2011 à décembre 2012, l’écart moyen entre les deux prix a été de 17$ à la faveur du BRENT, cet écart atteignant même plus de 27$ en septembre 2011. Il est devenu clair que nous avions maintenant deux prix de référence.

Au Canada, ce phénomène prend une importance particulière étant donné qu’au niveau de l’approvisionnement de pétrole, le Canada est divisé en deux par la ligne « Borden » : le Québec et les provinces atlantiques s’approvisionnent en pétrole d’Europe et d’Afrique (prix du BRENT), tandis que l’Ontario et les provinces de l’ouest s’approvisionnent en pétrole nord-américain (prix du WTI).

Pendant des décennies, cela n’a pas causé problème. Mais, tel que mentionné plus haut, depuis 2011, le prix du BRENT est significativement plus élevé que le WTI : une différence d’environ 10¢ le litre. On se serait attendu à ce que les pétrolières refilent cette hausse aux consommateurs. Or, que s’est-il produit? Les pétrolières ont effectivement refilé cette hausse aux consommateurs… mais à ceux de l’ouest, diminuant au passage leurs marges au Québec et dans les provinces atlantiques!

C’est ce que l’on constate en observant les données du ministère des Ressources naturelles du Canada. Il suffit de distinguer les trois composantes du prix de l’essence :

–       Le pétrole brut, dont le prix est déterminé par les marchés (et non par les pétrolières);

–       Les coûts et les marges du raffineur et du négociant;

–       Les taxes fédérales et provinciales. Certaines sont fédérales et s’appliquent partout (la taxe d’accise de 10¢ le litre et la TPS de 5%), d’autres provinciales (les taxes d’accise et les taxes de ventes provinciales) ou régionales (comme la taxe de 3¢ le litre à Montréal et dans ses environs, ou celle de 9¢ le litre à Vancouver).

Voici un graphique qui montre la part de ces composantes dans le prix à la pompe de l’essence ordinaire dans cinq villes canadiennes (trois à l’ouest et deux à l’est), pour 2010.

En 2010, l’absence de divergence entre le prix du WTI et celui du BRENT se reflète sur le prix du brut – il est le même partout : 49¢ le litre. Les coûts et marges du raffineur et du négociant, pour leur part, varient peu d’une ville à l’autre : plus ou moins 2¢ par rapport à la moyenne canadienne de 21¢. Finalement, la taxation est le facteur expliquant les différences entre les villes : faible à Calgary, élevée à Vancouver et Montréal.

L’écart moyen entre le BRENT et le WTI était, en 2010, de 0,12$. Or, en 2011, il était de 16,39$. Et le graphique pour 2011 montre bien cette divergence.

En 2011, le pétrole brut compte pour 60¢ le litre dans les villes de l’ouest, mais 69¢ le litre dans les villes de l’est. Comme je disais au début, on se serait attendu à ce que les prix avant taxes deviennent plus élevés dans l’est que dans l’ouest.

Or, il n’en est rien. Les coûts et marges du raffineur et du négociant ont été gonflés à l’ouest (pour atteindre jusqu’à 27¢), et réduites à l’est (à 15¢). De sorte qu’au final, le prix de l’essence avant taxes était toujours moins élevé à l’est de la ligne Borden qu’à l’ouest de celle-ci!

La taxation est encore une fois le facteur expliquant le plus gros des différences de prix entre les villes; de 24¢ à Calgary jusqu’à 46¢ à Montréal.

On pourrait évidemment arguer que les pétrolières ont sacrifié leurs marges dans 25% de leur marché pour les augmenter dans le 75% restant. Mais du point du vue du Québec, vous conviendrez qu’il ne s’agit pas d’une mauvaise chose.

En 2010, l’essence à Montréal se vendait 6¢ de plus le litre qu’à Toronto. En 2011, l’essence à Montréal se vendait 7¢ de plus le litre qu’à Toronto, une augmentation due à la hausse de la taxe d’accise du Québec de… 1¢.

Si Montréal et Toronto avaient payé leur essence selon leurs marges respectives de 2010, l’écart aurait été de 15¢, soit le double.

Insignifiant? En 2011 seulement, la différence entre ces marges a représenté une économie 285 millions de dollars pour les automobilistes québécois! Et une dépense supplémentaire de 765 millions de dollars pour les automobilistes ontariens!

Et comment cette situation évolue-t-elle en 2012?

L’écart entre le prix du brut se creuse encore, passant à 16¢ le litre. Idem pour l’écart entre les marges (32¢ et 33¢ à l’ouest, contre 18¢ et 19¢ à l’est). Et le prix de l’essence avant taxes est le même partout, la taxation expliquant l’écart de prix entre les villes.

Bref, on aurait pu croire que la divergence de prix entre le brut allait se traduire par une divergence équivalente dans les prix à la pompe à l’ouest de la ligne Borden et à l’est de celle-ci. Or, ce n’est pas ce que l’on observe.

Et ce constat devrait nous amener à réfléchir sur les conséquences d’une éventuelle disparation de cet écart entre les prix du WTI et du BRENT, si le resserrement amorcé au cours des dernières semaines devait se poursuivre.

Sources:

–        U.S. Energy Information Administration, Spot Prices for Crude Oil

–        Ressources naturelles Canada, Info-Carburant, Revues annuelles 2010, 2011 et 2012

–        Statistique Canada, CANSIM 405-0002 (Véhicules automobiles, ventes de carburants)

[1] Rappelons que WTI (West Texas Intermediate) réfère au marché américain et est coté à New York,  et que le BRENT (du nom d’un champ pétrolifère dans la Mer du Nord) est davantage utilisé sur les autres marchés et qu’il détermine le prix d’environ les deux tiers des transactions mondiales de pétrole brut.