L’INTÉGRATION ÉCONOMIQUE ET LE QUÉBEC

Quelques-unes des applications les plus puissantes de l’économique au domaine politique s’appuient sur une application soignée et cohérente des principes de base au lieu de recourir à la théorie de fantaisie apprise aux études graduées.  Schmalensee (2009 : 25)

À la suite des conseils de Schmalensee, ce texte applique une idée simple à l’économie du Québec. Il s’agit de prendre conscience des effets de l’intégration de son économie au marché commun canadien.

Dans une économie complètement fermée sur l’extérieur ou autarcique, la quantité des facteurs de production, capital et travail, est fixe et leurs prix varient en fonction des conditions intérieures. Pour une économie ouverte ou intégrée au monde extérieur, c’est le contraire: les prix sont déterminés de l’extérieur et ce sont maintenant les quantités de facteurs qui varient vu leur mobilité. Pour les économistes, ce modèle est celui de la « petite économie ».

Intégration des économies nationales

 À l’intérieur des pays occidentaux, il existe généralement un territoire bien intégré, c’est-à-dire un marché commun national. L’économie des régions se caractérise par une économie tournée vers l’extérieur. Par exemple, si on prend le Québec, une étude a estimé à l’aide du tableau interindustriel qu’en 2007, 28,6 pour cent  de l’emploi total et 72,7 pour cent  des emplois du secteur manufacturier dépendaient des exportations. (Institut de la statistique du Québec et Développement économique, Innovation et Exportation Québec (2010 : 2))

Avec cette grande ouverture, l’économie régionale s’apparente à la condition d’un individu qui n’a pas d’emprise sur les prix qu’il affronte. C’est une situation de preneur de prix sur les marchés. L’ajustement de longue période provoqué par des différences interrégionales de croissance à l’intérieur d’un même pays s’effectue par la mobilité des produits et des facteurs et peu par les prix. Les exceptions sont le facteur immobile par excellence, le sol et les produits non échangeables tels les services purement locaux comme les salons de coiffure.1  L’évolution du prix  relatif du sol reflète le dynamisme de la région et se répercute dans  les variations relatives du coût de la vie régional.

Décroissance relative de la population du Québec

La  figure 1 présente l’évolution de la part de la population du Québec au Canada depuis 1921. Cette part s’est maintenue à 29 pour cent entre 1941 et 1966 pour ensuite montrer une tendance constante à la baisse pour atteindre 23,1 pour cent en 2011.

Figure 1

 Source : http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/econm_finnc/conjn_econm/TSC/pdf/chap1.pdf consulté le 13 janvier 2012. 

Dans le cadre du modèle de la « petite économie » et des ajustements par les quantités, cette tendance à la baisse depuis 1966 ne soulève-t-elle pas un questionnement sur les effets à long terme de ce qui fut appelé la Révolution tranquille et du modèle québécois qui s’ensuivit? La période précédente, qui est souvent qualifiée de « grande noirceur », n’apparaît-elle pas ici sous des jours meilleurs?  

Intégration Québec-Ontario

Il existe une difficulté majeure pour mesurer la convergence des revenus réels au Canada (et aussi aux États-Unis); c’est l’absence d’estimations des différences régionales du coût de la vie. Une façon de contourner cette difficulté  consiste à se limiter à une comparaison Québec-Ontario. Ceci est approprié vu l’importante population des deux provinces ayant chacune une structure industrielle diversifiée.

 Selon les trois critères du PIB par habitant, du revenu personnel disponible par tête et de la rémunération hebdomadaire moyenne, le retard relatif du Québec se situerait en 2010 entre 11 et 13 pour cent par rapport à la province voisine (tableau 1).

Tableau 1

Comparaison de la production et du revenu par personne, Québec-Ontario en  2010

 

Québec

Ontario

Qc/Ont

PIB aux prix du marché par habitant ($)

40 395

46 304

87,2 %

Revenu personnel disponible par habitant ($)

26 642

29 893

89.1 %

Rémunération hebdomadaire moyenne ($) (incluant le temps supplémentaire)

783,99

882,38

88,8 %

Source : http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/econm_finnc/conjn_econm/TSC/index.htm        consulté le 13 janvier 2012.

Qu’en est-il du différentiel du coût de la vie? Selon les estimations pour octobre 2010 de Statistique Canada des indices comparatifs des prix de détail d’onze villes canadiennes, le coût de la vie à Montréal est inférieur par rapport à celui de Toronto de 11,2 pour cent.2  (Statistique Canada (déc. 2011 : 51-52))

Cette voie détournée permet d’affirmer que l’écart du revenu moyen réel entre le Québec et l’Ontario est négligeable. Ce résultat n’est pas une aberration malgré une expansion économique généralement plus rapide en Ontario qu’au Québec et aussi à Toronto par rapport à Montréal. En 1981, le Québec avait 74 pour cent de la population de l’Ontario contre 60 pour cent en 2011. Parallèlement, la population de la région métropolitaine de Montréal représentait 94 pour cent de celle de Toronto en 1981 contre 67 pour cent en 2010.

L’intégration économique des deux provinces, par le commerce des produits et l’ajustement du marché du travail par différentes voies tel le choix de résidence des immigrants, permet une forte égalisation des rémunérations réelles.3 Ce qui ne s’égalise pas est le prix du sol. Les régions plus prospères ont un prix du sol plus élevé qui augmente le coût du logement. Il y a aussi leurs salaires monétaires accrus qui ont un impact sur les prix des services locaux qui recourent davantage à la main-d’œuvre.

Conclusion

La conclusion de cette note est précise : tout choc relatif positif pour le Québec, comme un développement majeur relié aux ressources naturelles, ne se traduit pas par un accroissement du revenu réel de la population mais par une augmentation de cette dernière.

Ce modèle d’intégration économique a aussi un impact pour les études économiques. Il remet tout simplement en question la pertinence des études comparatives sur la productivité. Dans une économie intégrée, les évolutions différenciées de la productivité disparaissent par la mobilité ou par l’ajustement des quantités. Une augmentation relative  de la productivité d’une région s’accompagne d’un accroissement de sa population.

 

Bibliographie

Institut de la statistique du Québec et Développement économique, Innovation et Exportation Québec. 2010 (janv.) Impact économique des exportations québécoises,  2005 et 2007, Québec.

Schmalensee, Richard L. 2009 (été). “RFF Welcomes Four New Members to Board of Directors”, Resources, 172, p. 24-25.

Ressources humaines et Développement des compétences Canada. 2009 (oct.). Le faible revenu au Canada de 2000 à 2007 selon la mesure du panier de consommation, Ottawa.

Statistique Canada. 2011 (déc.).  L’indice des prix à la consommation, novembre 2011,  no de cat. 62-001-X, Ottawa.

 ——————————–

    1  Le prix des produits échangeables est relativement plus élevé par rapport au revenu monétaire des régions moins prospères. Le parc automobile du Québec illustre l’effet du phénomène.

 2     Selon Ressources humaines et Développement des compétences  Canada, un panier identique de biens et services coûtait en 2007 seize pour cent de moins dans la région métropolitaine de recensement de Montréal qu’à celle de Toronto.  Le coût du logement expliquait quatre-vingt-seize pour cent de l’écart. Cet écart du coût de la vie qui est plus élevé que l’estimation de Statistique Canada ne surprend pas: le panier concerne les familles à plus faible revenu où la part des dépenses consacrées au logement est plus élevée que la moyenne des ménages. (Ressources humaines et Développement des compétences Canada (2009 : 83))

     3  Depuis plus d’un demi-siècle, l’Ontario reçoit annuellement environ la moitié des immigrants au Canada tandis que la part du Québec est sensiblement inférieure à son importance relative dans la population canadienne : la part moyenne du Québec entre 1995 et 2009 dans l’immigration internationale canadienne  était de 15,5 pour cent  contre une part moyenne de population de 23,8 pour cent. Selon le recensement de 2006, les personnes nées à l’étranger représentaient 11,5 pour cent de la population du Québec contre 28,3 pour l’Ontario et 20,6 pour cent de la population métropolitaine de Montréal contre 45,7 pour celle de Toronto.