Les récentes crises financières (2008 et l’actuelle crise de la dette européenne) ont montré la vulnérabilité du système financier international et l’urgente nécessité de mettre en place un système plus solide et plus stable. À défaut d’opérer un tel changement, plusieurs continueront de faire les frais de la négligence d’un seul. Il suffit qu’un ou plusieurs pays soient infectés pour qu’une épidémie se répande et devienne internationale, ralentissant l’économie mondiale.
Les grandes puissances économiques mondiales semblent être d’accord pour initier des réformes au sein de l’architecture du système financier international. Le constat d’échec de Wall Street fait par le président américain Barack Obama et la promulgation de la loi « Dodd –Frank»[1] sont les preuves tangibles de la volonté des Etats-Unis de s’allier à ceux qui sont déjà convaincus de l’urgence d’une réforme. De l’avis du gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney :
Il faut un système financier mondial ouvert et résilient pour assurer une croissance économique soutenue à l’échelle du globe et réaliser le potentiel de la mondialisation.
En Europe, la chancelière allemande, Angela Merkel a, pour sa part, exhorté les pays européens à adopter des réformes structurelles afin de sauver leurs économies vacillantes. Car, selon elle, les réformes structurelles peuvent produire de très bons résultats mais il faut être prêt à payer le prix.
En effet, plusieurs propositions de réformes ont été faites. Certains suggèrent que celles-ci doivent nécessairement passer par une plus grande réglementation des secteurs bancaires nationaux, une délimitation claire et précise des sphères d’activités des banques traditionnelles et des banques d’investissement. D’autres soutiennent plutôt une plus grande participation du secteur privé à la prévention et à la résolution des crises et une plus grande transparence dans les opérations financières, ce qui passe obligatoirement par la création d’institutions résilientes. Malgré tout, les dirigeants peinent encore à prendre des actions allant dans le sens de ces réformes qu’ils appellent de tous leurs vœux.
Or, le diagnostic du problème ne fait pas défaut. Le manque de contrôle des pouvoirs publics est à l’origine de cette crise. Par conséquent, il serait indiqué de retourner aux idéaux keynésiens avec beaucoup plus de réglementations de la part des États si l’on veut corriger les défaillances du marché. Compte tenu de la nature de la crise issue d’un manque de transparence au sein du système et surtout du problème d’asymétrie d’information entre les régulateurs et les régulés, il serait souhaitable que les réformateurs s’inspirent des travaux de Laffont et Tirole (1993)[2] sur la nouvelle économie publique de la réglementation pour mettre en place des mesures incitatives susceptibles d’encourager les pays à s’auto-discipliner. Ils pourraient aussi s’inspirer des pays qui se tirent bien d’affaires et en cela le Canada est un bon exemple.
Malgré les soubresauts de l’économie mondiale, la crise de la dette souveraine européenne, la décélération de la croissance beaucoup plus prononcée que prévue en Chine, et dans les pays émergents, la persistance d’un taux chômage élevé dans les pays développés, la fragilité des secteurs bancaires, le Canada reste et demeure parmi les meilleurs élèves à en croire les récentes publications de l’OCDE. Avec un taux de chômage de 7.5 pour cent, le Canada est le deuxième pays du G8 jouissant d’une bonne santé économique, derrière l’Allemagne, première économie en Europe, qui affiche, elle, un taux de chômage de 6 pour cent. En 2011, seulement 13 pour cent des chômeurs au Canada ont été sans emploi pendant plus d’un an, contre plus de 31 pour cent aux États-Unis, 33 pour cent en Grande-Bretagne, 39 pour cent au Japon, 41 pour cent en France et 51 pour cent en Italie pour la même année.
Le récent rapport de la Banque du Canada sur la politique monétaire (RPM), publié à la mi-juillet, a surtout mis en exergue la faible marge de manœuvre à court terme de cette institution monétaire pour faire face aux vents contraires extérieurs qui menacent l’économie canadienne. En effet, bien que les autorités monétaires déploient tous leurs efforts pour mettre en place une politique monétaire adéquate afin de maintenir l’inflation à un niveau stable et bas et stimuler la croissance, ils doivent compter sur la collaboration de leurs collègues européens s’ils veulent juguler une crise qui en fait puise son origine dans l’état de malaise de l’économie mondiale. A noter que l’économie canadienne souffre déjà des effets néfastes de cette crise par la faible demande extérieure qui influe négativement sur la croissance de ses exportations. La principale leçon à retenir est qu’il ne suffit pas de mettre de l’ordre chez soi, mais qu’il faut aussi veiller à ce que font les autres en raison de ce que les politologues appellent un contexte international d’interdépendance complexe.
En ce qui concerne la croissance, le PIB réel canadien a cru de 1.9 pour cent au premier trimestre de 2012 et a progressé à peu près au même rythme qu’au deuxième trimestre. Le Canada reste quand même l’un des pays du G8 affichant une faible marge de capacités excédentaires inutilisées. Toutefois, malgré de sombres perspectives de croissance de l’économie mondiale qui ont obligé la Banque du Canada à revoir ses prévisions de croissance à la baisse, elle prévoit tout de même que l’économie croîtra à un rythme de 2.1% en 2012, 2.3% en 2013, misant en cela sur la hausse de la consommation et les investissements des entreprises qui devraient être les principaux moteurs de la croissance. En ce que ce qui a trait à la dette publique, le Canada enregistre le meilleur score parmi les pays du G8 avec environ 35 pour cent du PIB, suivi de l’Allemagne avec 54 pour cent et de la France, 83 pour cent. Les États-Unis, eux, ont une dette publique autour de 90 pour cent du PIB selon les récentes statistiques du Fond monétaire international (FMI). L’inflation, mesurée par l’indice de référence, se situe autour de 2% et devrait demeurer en-deçà de ce seuil selon les autorités monétaires canadiennes. Néanmoins, les pressions inflationnistes à l’échelle mondiale représentent des risques importants sur les perspectives d’évolution de l’inflation au sein de notre petite économie ouverte.
Malgré la décision récente de Standard and Poors d’abaisser la perspective de sept banques canadiennes de « stable » à « négative », tenant compte du niveau croissant de l’endettement des ménages, le système bancaire canadien reste le plus stable et fiable de la planète. Les banques canadiennes sont toujours en bonne position pour accorder des prêts aux ménages. D’après le dernier rapport sur la politique monétaire de la Banque du Canada, les conditions de financement sont généralement favorables pour les firmes et grâce à cela, la croissance de l’ensemble des crédits aux entreprises s’est hissée au-dessus de sa moyenne historique (plus de 6%). Il est fort probable que l’agence revoie sa décision en fonction de l’impact des dernières mesures prises par le ministère des Finances de resserrer les règles de crédit hypothécaire au Canada.
Vu l’intensité de la propagation de la crise de la dette européenne et sa grande capacité de nuisance à la croissance de l’économie mondiale et l’interdépendance des économies, il est tout à fait évident que nous avons besoin de plus de réglementation au sein de l’architecture du système financier international pour prévenir et résoudre les crises. Pour citer le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney :
Mettre de l’ordre dans nos propres affaires ne suffit pas, à moins de nous couper du reste du monde et si nous le faisons, nous finirions par être beaucoup plus pauvres.
Les institutions financières internationales méritent d’être renforcées et les gouvernements doivent être surveillés.
La mondialisation a accru l’efficience statique et dynamique par la forte intégration financière des marchés et par, une libre circulation des capitaux permettant aux détenteurs de capital d’obtenir un meilleur rendement sur leurs investissements. Mais, elle a aussi démontré des faiblesses auxquelles il faut remédier. C’est définitivement le moment pour le Canada d’accroître son influence sur le plan international, pouvant prêcher par l’exemple de son succès. Après tout, ne dit-on pas toujours que les grands leaders émergent des troubles et des situations chaotiques ?
[1] Loi qui vise à étendre le contrôle des régulateurs sur des pans entiers de la finance qui lui échappaient.
[2] Laffont et Tirole sont les tenants de la théorie de la nouvelle économie publique de la réglementation. Leur théorie va plus loin qu’une simple intervention de l’Etat dans l’économie. Elle aborde des questions telles que la détermination des limites à la sphère publique, la justification des contraintes mises à la discrétion du politique et du bureaucrate et surtout l’existence d’asymétries informationnelles entre les régulés et les régulateurs. Laffont, J.-J., & Tirole, J. (1993). A theory of incentives in procurement and regulation. Cambridge, Mass.: MIT Press.