NOS RICHES SONT-ILS DE « VRAIS » RICHES?

Qui est riche? Il n’y a pas de réponse objective et définitive à cette question car chacun définit la richesse à sa façon. D’ailleurs, nous sommes riches par rapport à qui et à quoi?

Par exemple, selon une étude que j’ai menée et qui se base sur les statistiques fiscales des particuliers, le revenu individuel total des Québécois en 2011 était en moyenne de 40 600 $ par année. Selon Global Rich List, un calculateur de revenus (et de richesses) en ligne, ce revenu type de la classe moyenne au Québec, serait suffisant pour faire partie du 1 % le plus riche dans le monde!

En effet, selon ce calculateur, une personne bénéficiant de ce revenu est certes moins riche que les quelque 67 millions d’individus dans le monde qui gagnent davantage, mais elle a tout de même un revenu supérieur à celui de 6,7 milliards d’individus qui gagnent moins (2008).

Et au Québec? Pour faire partie du 1 % le plus riche, il faut avoir un revenu individuel de 192 000 $ (incluant les transferts gouvernementaux et les gains en capital), selon Statistique Canada (2012).

Mais concrètement, qui sont nos riches? En 2012, 63 000 personnes au Québec franchissaient ce seuil et ce groupuscule captait 10 % de l’ensemble des revenus. L’âge médian y était de 53 ans, ce qui veut dire que la moitié des individus de ce groupe avait plus de 53 ans et l’autre moitié était plus jeune. Soulignons que seulement 24 % des membres de ce groupe étaient des femmes.

Ceci dit, ces riches sont-ils de « vrais » riches?

Riches juste pour un an?

Des spécialistes en économie  m’ont déjà expliqué qu’une bonne partie de ces individus ont ce  revenu élevé parce qu’ils déclarent un gain exceptionnel non récurrent, comme les revenus issus de la vente d’un immeuble par exemple. Ainsi, un entrepreneur de la classe moyenne qui vend son commerce  lorsqu’il part à la retraite ne sera classé parmi les « riches » que pendant un an.

 Autrement dit, les statistiques ne traduiraient pas bien la réalité des « vrais » riches.

J’ai quelques doutes à ce sujet. D’abord, les gains en capital découlant de la vente d’une résidence principale sont exclus des revenus déclarés, tant au fédéral qu’au provincial. Ensuite, les gains en capital incluent certes la vente d’immeubles, mais aussi la vente d’actions, ce qui est monnaie courante chez les retraités et les investisseurs; ceux qui vendent un immeuble (les riches pour un an) ne sont donc pas les seuls à déclarer des gains en capital.

Mais surtout, comme le démontre le graphique 13 de l’étude précédemment citée, pour les personnes ayant un revenu annuel supérieur à 250 000 $ (le 0,6 % le plus riche) et qui déclarent des gains en capital imposables, ces sommes représentent en moyenne un peu moins de 30 % de l’ensemble de leurs revenus. Si nous avions surtout affaire à de « faux riches », ce taux serait beaucoup plus élevé.

Bien que je n’exclue pas le fait qu’il doit y avoir dans le lot quelques commerçants qui vendent leur immeuble le temps de la retraite venu, ces cas semblent être l’exception et non la règle. En effet, le revenu moyen de ceux qui ont un revenu supérieur à 250 000 $ est de 600 000 $. Or, le revenu moyen provenant de gains en capital imposables est plutôt autour de 178 000 $ (graphique 14), ce qui ne représente qu’une fraction du revenu moyen de ce groupe. De plus, il manque au moins 75 000$ aux membres de ce groupe pour atteindre le seuil magique de 250 000 $; les gains en capital déclarés par les mieux nantis ne sont donc pas suffisants pour qu’ils fassent partie du groupe ayant un revenu supérieur à 250 000 $. Et vu l’ampleur du revenu moyen de ce groupe, il est peu probable que la majorité d’entre eux se trouvent tout près du seuil.

Ajoutons que la grande majorité des individus déclarant plus de 250 000 $ de revenus annuels ne reçoivent aucun salaire, leurs revenus provenant d’autres sources comme des revenus d’entreprise. D’ailleurs, entre 68 % et 74 % d’entre eux déclarent des revenus pour intérêts de placements et/ou dividendes imposables (près de deux fois la taille du groupe des déclarants de gains en capital).

Alors, les plus riches sont de faux ou de vrais riches? La donnée la plus probante penche clairement en faveur de la seconde option : 74 % de ceux qui faisaient partie du 1 % en 2012 en faisaient également partie l’année précédente. D’ailleurs, lorsqu’on prend en compte les gains en capital (le prétexte cité plus haut selon lequel les riches ne le seraient que momentanément), le pourcentage de ceux faisant partie du 1 % le plus riche l’année suivante passe de 74 % à 67 %, une diminution minime. Encore plus révélateur, 93 % des membres du 1 % le plus riche font partie du 5 % le plus riche l’année suivante.

Autrement dit, nos riches seraient surtout des « vrais » riches.

Une version de ce billet a été publié sur le blogue de l’Institut du nouveau monde le 7 janvier dernier.