OÙ EST DONC LE PARADIS TERRESTRE?

Étant donné que les sentiments de bonheur, de satisfaction ou de bien-être se mesurent difficilement dans l’absolu, il peut être utile et révélateur de tenter de comparer les sociétés entre elles pour voir quelles populations semblent le mieux s’en tirer sous ces rapports.

Le classement mondial

Comme nous l’avons vu dans un article précédent[1], le Gallup World Poll est une enquête internationale portant sur le degré de satisfaction des personnes à l’égard de leur vie. Cette enquête montre de grandes disparités entre les pays et entre les régions du monde. En Europe, plus du tiers des répondants évaluent leur satisfaction à 8 ou plus sur une échelle de 10 comparativement à  moins de 5% en Afrique noire (http://lat.ms/HQl2VR). Selon les enquêtes mondiales effectuées par la firme Gallup entre 2005 et 2011, le Danemark est le pays où les gens sont les plus heureux. Suivent dans l’ordre la Finlande, la Norvège, les Pays-Bas et le Canada. Les États-Unis arrivent au 11e rang. De façon un peu ironique, le Bhoutan n’est pas inclus dans l’enquête Gallup malgré qu’il soit le seul pays à poursuivre formellement le bonheur de ses citoyens.

Sans grande surprise, la richesse et la santé y sont pour beaucoup dans la satisfaction et le bien-être des populations. Ainsi, les quatre pays les plus heureux dans le classement de l’enquête Gallup ont des revenus 40 fois plus élevés que les pays les moins heureux. De plus, l’espérance de vie est plus longue de 28 années dans les pays ayant les citoyens les plus satisfaits de leur condition. Toutefois, la richesse matérielle et la prospérité ne sont pas les seuls déterminants du bien-être des populations. Ainsi, malgré que les revenus ont beaucoup augmenté aux États-Unis depuis 1960, le niveau moyen de bonheur y est demeuré stable.

Le rapport  «Comment va la vie?» de l’OCDE constate que le bien-être subjectif a augmenté en moyenne au cours des quinze dernières années dans les pays membres de l’organisation mais que les différences entre pays sont importantes de même qu’entre les groupes ayant des niveaux différents d’éducation. Il n’y a pas un pays qui fait mieux sur l’ensemble des indicateurs mais certains pays comme le Canada, l’Australie et  la Scandinavie font généralement mieux que les autres.

Le Québec et le Canada

Les chercheurs Luc Godbout et Marcelin Joanis ont appliqué la méthodologie de l’OCDE au cas du Québec. Même si dans certains cas des indicateurs identiques à ceux de l’OCDE n’étaient pas disponibles et qu’ils ont dû recourir à des approximations, leur travail conduit à des observations révélatrices et un peu paradoxales. Ainsi, le Québec se situerait au 20e rang parmi les 35 pays membres de l’OCDE en ce qui a trait au PIB mesuré en parité des pouvoirs d’achat. Par contre, pour la majorité des indicateurs, soit dans 18 cas sur 20, le Québec affiche des résultats meilleurs que la moyenne des pays de l’OCDE. C’est le cas notamment pour le logement  pour lequel le Québec arrive 2e, le bien-être subjectif (2e), l’éducation (3e), la sécurité (4e) et la conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle (4e)[2].

Chris Barrington-Leigh, un chercheur de l’université McGill a mis au point un indicateur de «satisfaction dans la vie» qui permet des comparaisons entre les provinces canadiennes ainsi qu’entre différents groupes dans la population[3].  Le suivi de cet indicateur sur plusieurs années produit des résultats un peu surprenants. En effet, en comparaison du reste du Canada, le Québec est passé du dernier rang (années 1980) à la première place (vers 2005) en ce qui a trait à la satisfaction de vie des citoyens. Par ailleurs, cet indicateur ne révèle pas de différences entre hommes et femmes, ni entre urbains et ruraux au Québec; il n’y a pas non plus de différence générationnelles  (personnes nées avant ou après 1965).

À quoi attribuer les progrès notables de la satisfaction de vie des Québécois? Le professeur Barrington-Leigh se perd en conjectures quant à l’influence possible de facteurs tels que la croissance des revenus (plus rapide au Québec que dans le reste du Canada) ou le plus grand développement des services publics au Québec, ou encore un meilleur équilibre entre le travail et la vie privée. Il se demande aussi si les changements sociaux et politiques survenus dans la foulée de la Révolution tranquille n’auraient pas donné aux Québécois un sentiment sécurité culturelle et de progrès qui serait pour quelque chose dans leur satisfaction élevée.

L’indice du bien-être produit par le Centre canadien d’études sur les niveaux de vie (CENV) conduit à des observations un peu similaires  et tout aussi étonnantes: au Québec l’indice a cru plus rapidement que dans le reste du Canada et qu’en Alberta  sur la période 1981-2010. Le CENV a également produit récemment une étude[4] révélant qu’au cours de la période 2003-2011 le Québec, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador étaient les provinces où les citoyens affichaient la meilleure moyenne de satisfaction de vie. La même étude révèle que dans 4 cas sur 5, les régions métropolitaines de recensement (RMR) ayant la plus haute satisfaction de vie sont au Québec. Il s’agit des RMR de Québec, Trois-Rivières, Gatineau et Saguenay. À l’inverse, les trois RMR  où les citoyens étaient les moins satisfaits sont Toronto, Windsor et Kitchener.

Ce bref survol d’études et d’enquêtes dans le monde et au Canada montre bien les liens complexes existant entre le bonheur et la richesse. Selon les sociétés considérées, bonheur et richesse peuvent aller de pair, tout comme ils peuvent sembler aller dans des directions opposées. Nous reviendrons sur cette relation ambivalente entre l’argent et le bonheur dans un prochain article.

NOTE: Cet article est le 3e d’une série de cinq portant sur les indicateurs du progrès des sociétés. Le premier article a été publié le 15 octobre (  et le 2e le 22 octobre 2012 ( ).


 


[1] Combien de bonheur, Libres Échanges, 22 octobre 2012.  .

[2] Une présentation plus détaillée des résultats de ces travaux est disponible sur le site de l’Association des économistes  québécois ( http://w1p.fr/62680 ).

[3] Cet indicateur est basé sur les résultats des enquêtes sociales réalisées par Statistique Canada entre 1985 et 2008. Ces enquêtes ont porté successivement sur une variété de thèmes : santé, famille, travail, réseaux sociaux, emploi du temps, victimisation, etc. Pour des informations plus complètes sur la méthodologie de monsieur Barrington-Leigh voir le site de l’Association des économistes  québécois (http://w1p.fr/78407). De plus, un article sur cette méthodologie a été publié:  Viewpoint: Measuring and understanding subjective well-being, Canadian Institute for Advanced Research.

[4] Centre for the Study of Living Standards. Canadian are Happy and Getting Happier : an Overview of Life Satisfaction in Canada, 2003-2011, Ottawa, septembre 2012, 16p.