Paul Collier sera conférencier à l’ouverture du congrès de l’Association des économistes québécois (29-30 mai prochain).
Il y a seulement quelques années, le libéralisme économique faisait la quasi-unanimité comme étant le meilleur moyen pour assurer la prospérité et le bien-être du plus grand nombre. Une large partie de l’opinion publique est maintenant autant sinon plus sensible aux méfaits qu’aux avantages de ce que l’on désigne maintenant par son ancienne appellation, plus lourdement connotée, de capitalisme. Celui-ci est de plus en plus perçu comme responsable des problèmes environnementaux qui menacent la vie sur Terre et des inégalités qui suscitent l’indignation et ouvrent la porte à des politiques de moins en moins démocratiques un peu partout dans le monde. Par ailleurs, les succès économiques persistants de la Chine incitent à penser que l’État peut intervenir dans le fonctionnement des marchés sans nuire à la croissance à long terme de l’économie.
Récemment, de nombreux auteurs se sont penchés sur les maux des économies libérales et sur les remèdes à y apporter. Branko Milanovic et Joseph Stiglitz sont du nombre, mais aussi Paul Collier un professeur de science économique à l’université d’Oxford qui sera conférencier d’honneur au congrès des 29 et 30 mai prochains de l’Association des économistes québécois. Dans The Future of Capitalism, Collier se prononce sur les causesqui ont mené aux effets nocifs du capitalisme et préconise diverses mesures pour réformer celui-ci. Le livre, qui ne comporte aucun tableau, aucun graphique, aucune équation, aucun chiffre, est autant assimilable à un ouvrage de philosophie morale qu’à un traité d’économique. En ce sens, Collier renoue avec un domaine de réflexion qui était celui de La théorie des sentiments moraux, l’ouvrage pour lequel Adam Smith était le plus renommé de son vivant.
Pour Collier, les dérives du capitalisme peuvent être corrigées par un retour des agents économiques, incluant les individus et les ménages, à une éthique reposant sur des valeurs telles que la solidarité, la responsabilité, la réciprocité et le sentiment d’appartenance à la communauté nationale. Selon lui, ces valeurs étaient largement partagées dans les pays occidentaux dans les décennies qui ont suivi la Deuxième guerre mondiale. Tant les gouvernements que les citoyens étaient habités à la fois par le désir de faire oublier les rivalités et les destructions de la guerre, et par la volonté de montrer que les pays démocratiques pouvaient répondre aux besoins des populations autant sinon mieux que les régimes communistes alors en pleine expansion. Les gouvernements occidentaux appliquaient tous des programmes politiques à saveur sociale-démocrate et les riches trouvaient acceptable que l’impôt serve à aider les plus démunis. Tout cela a fait consensus jusqu’à ce que la stagflation des années 1970, puis la chute du Mur favorisent le triomphe d’un (néo) libéralisme fondé sur l’effacement de l’État et la réussite personnelle.
Collier propose donc que tant les individus et les familles que les États guident leur action sur des principes éthiques plutôt que sur la rationalité économique basée sur la maximisation des gains nets. Quant à elles, les entreprises doivent revenir à leur mission fondamentale qui n’est pas de créer de la valeur pour les actionnaires, mais plutôt d’offrir des produits et des services de qualité à la clientèle. Pour contrer la tendance à la monopolisation dans certains secteurs, Collier recommande d’instaurer une fiscalité des entreprises qui soit progressive en fonction de leur chiffre d’affaires.
Il estime aussi qu’il faut repenser les approches en matière d’éducation et de formation. D’une part, il faut rendre les écoles plus productives en favorisant la concurrence entre elles et en leur permettant de congédier les enseignants incompétents. D’autre part, il faut réaliser les limites de l’enseignement académique pour l’apprentissage de la vie en société et du travail concret. La formation à la tâche et le maillage entreprises-universités assurés par les entreprises allemandes et suisses apparaissent à Collier comme un modèle à suivre. À son avis, les pays anglo-saxons sont trop obnubilés par le prestige des diplômes d’études supérieures alors que les économies modernes ont surtout besoin d’une main-d’œuvre disposant de connaissances pratiques et techniques plutôt que des savoirs généraux et abstraits diffusés par les universités.
Parmi les torts imputables au néolibéralisme, Collier est particulièrement sensible au fossé qui s’élargit entre, d’une part, les grandes métropoles économiques et, d’autre part, les centres urbains secondaires et les régions périphériques. La concentration des populations et des hauts revenus dans les grands centres procure une rente que se partagent les propriétaires fonciers et les professionnels spécialisés dans des domaines tels que la finance, le droit et les nouvelles technologies. Or, l’appropriation de cette rente par des individus n’est nullement justifiée puisqu’elle découle des infrastructures publiques et des effets de réseaux de même que des synergies et des économies externes présentes dans les grandes agglomérations. Collier préconise donc l’utilisation de la fiscalité pour redistribuer ces rentes de situation en faveur des travailleurs et des communautés gravement affectés par la mondialisation. Il s’agit pour lui d’un impératif éthique que de faire en sorte que les régions et les villes défavorisées ne subissent pas seules les inconvénients de la transformation de l’économie sous l’effet de la technologie et de la mondialisation.
Collier propose aussi plusieurs autres mesures penchant tantôt à gauche, tantôt à droite. Il plaide notamment pour que les jeunes ménages aient un accès facilité au logement et à la propriété, que les grandes entreprises investissent dans les villes et les régions dévitalisées et que les pharmaceutiques fournissent des médicaments à des prix accessibles aux populations des pays les plus pauvres.
CONCLUSION
Avec une vision fondée sur l’éthique plutôt que sur les calculs, Collier s’écarte de l’approche conventionnelle de la science économique. À certains égards, sa démarche paraît utopique, mais elle a le mérite de soulever des questions fondamentales sur les finalités et les modalités de la croissance et du développement.