Les membres de l’Institut des Générations croient… que les constats exprimés (par les Lucides le 19 octobre 2005, à savoir le retard économique, le poids de la dette publique, le déclin démographique, et les défis de la concurrence asiatique) restent des problèmes majeurs. – Journal les Affaires, le 3 octobre 2015.
On peut lire quotidiennement nombre de publications sur divers aspects de la mondialisation et des changements climatiques qui doivent nous amener à renouveler ou à adapter les politiques économiques et sociales du Québec. On y décrit, entre autres sujets, l’évolution des échanges internationaux et des technologies ainsi que les défis à relever à divers égards. Nous les examinerons ici afin d’en tirer quelques enseignements pour assurer un développement durable et inclusif.
Voici quelques-unes des mutations qui nous obligent à revoir les politiques publiques et les modèles d’affaires des entreprises :
- le ralentissement récent de la progression du commerce mondial,
- la concurrence de plus en plus vive dans les chaines de valeur ajoutée,
- le rôle accru des firmes multinationales et des investissements directs étrangers,
- la délocalisation ou le rapatriement d’activités de production de biens et services et de R&D tenant compte des coûts relatifs, du savoir faire et des technologies disponibles ici et ailleurs dans le monde,
- la métropolisation des activités,
- les accords régionaux et plurilatéraux de libéralisation du commerce et de l’investissement qui influencent de plus en plus les politiques nationales,
- l’importance moindre des variations des taux de change étant donné la présence accrue de biens et services importés dans les exportations finales,
- les initiatives de marketing privées et publiques de plus en plus nombreuses et sophistiquées,
- la persistance et l’anticipation d’une croissance économique ralentie d’où la difficulté d’atteindre les équilibres budgétaires publics et le rétablissement des bilans privés.
Parmi les manifestations du changement technologique auxquels les personnes, les entreprises, la société civile et les organismes privés et publics doivent s’adapter notons:
- les applications de plus en plus nombreuses de l’économie numérique. On pourrait tenter d’établir la longue liste des nouvelles applications technologiques, mais contentons-nous ici de noter qu’il s’agit d’applications qui modifient les relations entre personnes, entre entreprises, entre personnes et entreprises, entre entreprises et gouvernements, entre personnes et machines, entre machines et machines,
- la création d’emploi à haut salaire dans les nouvelles industries de savoir spécialisé, la destruction ou la modification des tâches des employés dans les industries traditionnelles,
- un souci accru des conséquences des changements climatiques et des initiatives pour les réduire,
- une préoccupation grandissante pour la sécurité des personnes, des actifs et des réseaux.
En raison de ces mutations ou changements, les investissements en éducation, en recherche, en infrastructures ainsi que la consommation de produits locaux doivent tenir une place encore plus importante qu’auparavant dans nos projets de développement économique.
Parmi les cibles pour faciliter l’adaptation du modèle québécois au nouveau contexte, mentionnons les suivantes :
- favoriser l’innovation avec un souci grandissant pour assurer la protection des droits de propriété intellectuelle, incluant le design de même que les œuvres littéraires et architecturales,
- inciter les entreprises à développer leurs échanges avec celles d’ailleurs dans le monde,
- examiner la valeur ajoutée de nos activités économiques, car la création d’emplois durables et notre capacité à nous insérer dans les chaines de valeur ajoutée en dépendent.[1]
- tenir compte du fait que les pratiques de prix de transfert des firmes multinationales rendent les variations de taux de change moins efficaces comme instrument de politique économique, car un pourcentage grandissant de produits et services comprennent des pièces et intrants intermédiaires importés dans le cadre des chaînes de valeur ajoutée,[2]
- diversifier nos marchés extérieurs, plus particulièrement vers ceux de l’Asie de l’Est,
- augmenter nos exportations vers les métropoles et les régions dynamiques des États-Unis, de l’Asie, de l’Afrique, de l’Amérique latine et de l’Union européenne.
- examiner notre offre de produits et services, dont ceux de l’économie numérique, de l’environnement, de l’industrie de la sécurité et ceux de nos grappes industrielles compétitives et productrices de valeur ajoutée.
Découle aussi de cette analyse :
- la prise en compte du rôle fondamental de la spécialisation et des applications de l’économie numérique dans les grappes industrielles[3],
- le soutien à l’entrepreneuriat, au démarrage d’entreprises, à leur participation à des réseaux et grappes industrielles pouvant servir de plateformes au commerce extérieur,
- de nouvelles méthodes de financement des grappes industrielles et des réseaux d’entreprises afin de susciter la participation de nombre de partenaires privés et publics,
- des mesures dans le domaine de la sécurité des biens, des services, des personnes, des données et des infrastructures,
- des initiatives dans le stockage et dans la distribution intelligente de l’énergie : piles et batteries, technologie de l’hydrogène[4], bornes de recharge, etc.
- la multiplication de projets pour accompagner les entreprises dans leur passage au numérique,
- l’adoption de normes pour favoriser l’atteinte des objectifs dans la lutte aux changements climatiques et le développement de l’économie circulaire,
- l’électrification et l’automatisation dans les industries du transport et de la logistique,
- l’implantation progressive d’une taxe kilométrique[5] pour remplacer les tarifs sur les ponts autour de l’Ile de Montréal, taxe pouvant être modulée selon les heures du jour et avec crédit pour certaines catégories de trajet,
- des initiatives dans le cadre du Plan Nord pour encourager la recherche et l’exploitation de terres rares telles l’indium, le gallium, le dysprosium et le cobalt,
- un rôle accru de Montréal et des métropoles régionales en planifiant leur développement dans un rayon de 100 km (une heure de déplacement)[6] ce qui pourrait nécessiter un nouveau découpage administratif du territoire québécois,
- des activités visant le développement des métropoles intelligentes[7],
- la poursuite des modifications au modèle de gouvernance canadien et québécois pour valoriser les villes et les régions métropolitaines selon le principe de la subsidiarité,
- le développement et le rayonnement culturel et sportif des villes et régions,
- une politique de formation et d’éducation des ressources humaines sans laquelle nombre des initiatives évoquées ici ne pourront réussir,
- des ressources additionnelles pour l’accueil et l’intégration des immigrants,
- des mesures pour faire «grandir» les PME, entre autres, en révisant la fiscalité qui nuit à leur croissance lorsqu’elles atteignent le seuil où leur taux d’imposition augmente[8];
- la poursuite de l’objectif de l’équilibre budgétaire, entre autres, à l’aide de la politique de l’utilisateur payeur, compte tenu cependant que celle-ci ne devrait s’appliquer qu’aux biens pour lesquels le principe d’exclusion peut s’appliquer i.e. aux biens privés,
- des politiques fiscales et de sécurité du revenu permettant d’atteindre une redistribution plus équitable des revenus,
- l’évaluation spécifique, globale et régulière des programmes existants pour tenir compte de leurs effets sur la croissance, le bien-être, les disparités de revenu, le solde commercial, l’équilibre budgétaire, les effets sur les divers ordres de gouvernement.
Conclusion
Les initiatives identifiées ci-haut sont nombreuses et complexes. Leur conception et leur mise en oeuvre nécessitent la participation et la collaboration des entreprises, des syndicats, de la société civile, du gouvernement du Québec et des administrations municipales et régionales. Un tel chantier pourrait justifier la mise sur pied d’un Conseil économique et social du Québec. Un nouveau modèle de développement économique et social pourrait en émaner.
[1] Voir E. Nyahoho et P.P.Proulx, Le Commerce international, Presses de l’Université du Québec 4 ième édition, chapitre 7, Les mouvements de facteurs pour un examen plus détaillé de l’externalisation.
[2] R.Rajan, The export driven model of economic growth is dead, Weaker exchange rates raise input costs, dans K. Carmichael’s Observer, le 31 août 2015.
[3] Le lecteur intéressé pourra consulter notre billet , Libres Échanges, 16 novembre 2015.
[4] Voir aussi Matthew M. Mench, High Hopes for Hydrogen, Fuel Cells and the Future of Energy, dans Foreign Affairs, November-December 2015, p. 117-124 pour un examen de problèmes et du potentiel dans le domaine de l’hydrogène.
[5] À l’essai en Oregon et prochainement en Californie.
[6] D’où l’importance de ne pas imposer de tarifs sur les ponts autour de l’île de Montréal afin de ne pas «effriter» la région.
[7] Voir «Canada’s Urban Competitiveness Agenda», Martin Prosperity Institute, P. Florida et G. Spencer martinprosperity.org, le 2 novembre 2015 pour une étude quantitative de la compétitivité des villes québécoises.
[8] La recommandation #18 du rapport de la Commission Godbout propose une «prime à la croissance des PME», soit une réduction de 10% à 4% pour les revenus imposables situés entre 100 000$ et 500 000$.