Malgré les progrès remarquables que les femmes ont réalisés en matière de scolarisation, elles continuent d’afficher un revenu de travail inférieur à celui des hommes. En 2011, le salaire horaire moyen des femmes qui travaillaient à temps plein au Canada représentait 87 pour cent de celui des hommes. Au Québec, ce ratio était de 90 pour cent.
On doit se réjouir que l’écart salarial entre les sexes se soit atténué au cours des récentes décennies, mais pourquoi un écart persiste-t-il ? Dans Pourquoi les femmes gagnent-elles moins que les hommes ?, j’examine cette question à l’aide des recherches et analyses statistiques les plus pertinentes et rigoureuses menées au cours des 10 dernières années à partir des données d’enquêtes de Statistique Canada[1].
Plus spécifiquement, j’évalue le bien-fondé de quatre hypothèses souvent avancées pour tenter d’expliquer qu’encore aujourd’hui, les femmes gagnent moins que les hommes :
1. Les femmes sont surreprésentées parmi les professions et métiers moins bien payés.
2. Les femmes attachent plus d’importance aux attributs non pécuniaires de leur emploi.
3. Les responsabilités familiales plus lourdes des femmes les amènent à rechercher des emplois leur permettant de mieux équilibrer travail et vie personnelle.
4. Les stéréotypes de genres dans diverses pratiques en milieu de travail tendent à récompenser un modèle de travail qui correspond davantage à celui des hommes.
Quatre grands constats se dégagent de ma synthèse des résultats de la recherche.
Premier constat : Les choix de carrière des femmes contribueraient de façon importante aux écarts salariaux entre les hommes et les femmes. Malgré des percées récentes dans des domaines plus traditionnellement masculins, les femmes sont trop peu nombreuses à choisir des parcours professionnels plus payants. Elles continuent d’être concentrées dans un éventail plus restreint de professions et de secteur d’activités que les hommes et forment la majorité des travailleurs qui occupent les emplois les moins bien payés et les postes subalternes. En particulier, la forte concentration des femmes dans le secteur de la santé serait un facteur-clé expliquant les écarts salariaux entre les sexes au Canada.
Deuxième constat : L’hypothèse voulant que les femmes soient davantage intéressées que les hommes par les aspects non pécuniaires des emplois bénéficie d’un certain soutien empirique. Si l’importance de ce facteur est reconnue d’un point de vue statistique, sa contribution aux écarts salariaux demeure faible comparée à la portion des écarts imputables à la ségrégation des choix professionnels. Est-ce que les femmes préfèrent des professions ou secteurs d’activité qui leur donnent plus de flexibilité, quitte à être moins bien payés ? Ou est-ce plutôt que les femmes sont prêtes à accepter des salaires plus bas si c’est là la seule façon de concilier leur rôle de mère et de travailleuse ? La nuance est importante, mais les analyses empiriques ne nous permettent pas de trancher.
Troisième constat : Les femmes qui ont des enfants gagnent moins que les femmes qui n’en ont pas. Cette « pénalité du bébé » est un phénomène bien documenté d’un point de vue empirique. En 2012, l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) publiait des données comparatives montrant que le coût de la maternité en termes de baisse de salaires demeure très élevé au sein des pays de l’OCDE. Parmi les personnes âgées de 25 à 44 ans qui travaillaient à temps plein, l’écart salarial entre les sexes pour les travailleurs et travailleuses sans enfant se situait à 7 pour cent pour l’ensemble des pays de l’OCDE. Pour ceux et celles qui avaient au moins un enfant âgé de 15 ans ou moins, l’écart grimpait de plus de 15 points de pourcentage, pour atteindre 22 pour cent. Au Canada, cet écart atteint 30 pour cent, et il faut en moyenne sept ans pour qu’une mère qui retourne au travail après un congé de maternité ne soit plus pénalisée sur le plan de la rémunération.
Quatrième constat : Moins de la moitié des écarts salariaux observés s’explique par les caractéristiques productives différentes des femmes et des hommes comme le domaine d’étude ou la profession, le secteur d’activité, le nombre d’années d’expérience ou le nombre d’heures travaillées. Ce serait plutôt les différences dans les rendements que les femmes et les hommes tirent de leurs caractéristiques professionnelles qui donnent lieu aux écarts que nous observons, ce qui suggère que des pratiques discriminatoires envers les femmes pourraient sévir dans certains milieux de travail. Même si les barrières légales à l’embauche des femmes et autres pratiques discriminatoires sont illégales, des préjugés plus ou moins cachés semblent influencer les pratiques organisationnelles. Les femmes, même celles qui détiennent des diplômes d’études supérieures, occupent souvent des postes subalternes et bénéficient moins de chances d’avancement. Il est difficile toutefois de documenter au moyen d’analyses statistiques l’existence de préjugés et stéréotypes de genre en milieu de travail et surtout de cerner leur rôle dans les inégalités salariales.
Que peut-on conclure de ces constats en ce qui concerne l’élaboration de politiques sociales et économiques visant l’amélioration de l’égalité économique entre les femmes et les hommes ?
D’abord, il faut sortir les femmes du ghetto des emplois mal payés. Puisque la sous-représentation des femmes dans certains métiers et professions est, parmi les facteurs identifiables, le facteur qui contribue le plus aux écarts salariaux entre les sexes, la promotion de la diversification des choix de carrière des femmes serait possiblement le meilleur outil de lutte aux inégalités économiques entre les femmes et les hommes. Il est crucial d’encourager les jeunes femmes à élargir leurs horizons quant aux domaines d’étude qu’elles choisissent. Aussi, il faut sensibiliser tous les acteurs du monde du travail – employeurs, travailleuses et travailleurs, syndicats – pour que le plus grand nombre reconnaisse la persistance des stéréotypes de genres en milieu de travail et les coûts associés à leurs effets néfastes, tant d’un point de vue personnel que collectif.
L’atteinte d’une masse critique de femmes dans toutes les sphères d’activité est fortement liée à la reconnaissance qu’il y a de bonnes raisons d’affaires à embaucher des femmes et à mettre en œuvre des pratiques efficaces pour les garder en emploi. Une plus grande représentativité des femmes dans des emplois non traditionnels et plus particulièrement dans des postes décisionnels peut être un catalyseur de changements en influant sur les mentalités en général et les aspirations que les filles, et leurs parents, entretiennent.
Enfin, on doit donner plus de mordant aux mesures qui s’attaqueront au fait que trop souvent, c’est leur rôle de mère qui pénalise les femmes sur le marché du travail. Les mères tirent des rendements inférieurs de leurs caractéristiques professionnelles sur le marché du travail. La « pénalité du bébé » persiste au-delà du fait que la productivité des mères et leur capital humain pourraient être affectés par les interruptions dans leur carrière due à une grossesse ou par les conflits qu’elles vivent entre leurs responsabilités familiales et professionnelles. Il est temps que ça change et que les contributions économiques et sociales des femmes soient reconnues à leur juste valeur. C’est par là que passe la réelle égalité.
1 Carole Vincent, 2013, Pourquoi les femmes gagnent-elles moins que les hommes, Analyse de politiques/Canadian Public Policy, vol. XXXIX, no 3, p.473-490. (Cette étude a été réalisée pour le Réseau canadien des Centres de données de recherche.)