Le Gouvernement du Québec a récemment intenté une poursuite de 60 milliards de dollars contre les cigarettiers. Le présent commentaire a pour objectif de discuter de la méthode utilisée par le gouvernement pour en arriver à cette estimation de 60 milliards de dollars. Mon analyse de cette question me porte à dire que le gouvernement a malheureusement choisi une mauvaise méthode pour en arriver à ce montant.
Le gouvernement a cherché à évaluer essentiellement les coûts du tabagisme pour le système public de santé sur une période de 60 ans : « Le montant réclamé est d’un peu plus de 60 milliards de dollars. Comme le prévoit la loi, cette somme inclut la valeur actualisée de toutes les dépenses que le gouvernement ou un de ses organismes a faites depuis l’année financière gouvernementale 1970-1971, année d’instauration du régime d’assurance maladie, relativement à des soins de santé liés au tabac de même que les dépenses à venir jusqu’en 2029-2030. » Voir le communiqué de presse du Ministère de la justice du Québec à l’adresse suivante :
On parle donc d’un coût moyen d’environ 1 milliard de dollars par année. La principale composante de ce coût est le traitement des maladies liées au tabagisme dont les hospitalisations, les services médicaux (médecins omnipraticiens et spécialistes), les médicaments ainsi que d’autres coûts (urgences, chirurgies d’un jour, services ambulatoires, services offerts en CLSC).
Pour définir le montant de la réclamation, il aurait fallu non pas mesurer les coûts de santé liés au tabagisme, mais les coûts additionnels de santé liés au tabagisme.
Le ministère de la Santé a donc utilisé le mauvais concept. Au lieu de mesurer le coût encouru lié au tabagisme, il aurait dû mesurer le coût marginal du tabagisme pour le système public de santé. Je m’explique.
Que nous soyons fumeurs ou non-fumeur, nous vieillirons tous, nous utiliserons tous les services de santé et nous mourons tous. La question à laquelle le gouvernement aurait dû répondre est la suivante : Est-ce que durant sa vie un fumeur utilise, en moyenne, plus les services de santé qu’un non-fumeur durant la sienne? Il est possible que la valeur des soins de santé prodigués en fin de vie pour ces deux individus soit relativement proche. Il se pourrait même que la virulence des maladies liées au tabagisme fasse en sorte que les soins de santé prodigués en fin de vie soient, en moyenne, moins coûteux que ceux prodigués aux non-fumeurs. L’inverse est également possible. D’un autre côté, si nous faisons l’hypothèse que les non-fumeurs vivront en moyenne plus longtemps que les fumeurs, il faudra tenir compte du fait que les soins donnés avant l’épisode de la fin de vie seront donnés durant une période plus longue; il est donc possible que les soins données avant la fin de vie soient plus coûteux pour les non-fumeurs tout simplement parce que la vie de ces derniers sera plus longue. Il est également possible que ce coût additionnel soit compensé par le fait que les fumeurs auront pendant de nombreuses années une moins bonne santé les obligeant à utiliser plus fréquemment le système public de santé. Ceci étant dit, il y a donc de bonnes raisons de croire que l’estimation du coût additionnel lié au tabagisme pour le système public de santé soit beaucoup moins élevée que celle utilisée par le gouvernement pour définir le montant de sa réclamation.
En d’autres termes, le gouvernement a oublié de tenir compte du fait que le tabagisme en réduisant l’espérance de vie a fait devancer des dépenses en santé dont une bonne partie aurait été encourue plus tard.
Les points qui viennent d’être soulevés n’impliquent pas que les coûts annuels du tabagisme pour la société québécoise ne sont pas importants. Si on est prêt à considérer d’autres coûts, on pourrait alors obtenir des estimations dépassant le montant d’un milliard de dollars par année La baisse significative de l’espérance de vie (peut-être entre 5 et 10 ans) d’une grande partie de la population est une perte énorme de bien-être. De plus, si le tabagisme impliquait
- une réduction significative de travailleurs disponibles et donc d’heures de travail,
- une réduction significatives de la contribution des retraités auprès de leurs proches et dans la communauté, et
- une baisse de productivité à cause de la mauvaise santé des fumeurs,
il en résulterait une baisse importante de la production domestique, du potentiel économique et des revenus pour le gouvernement.
D’une certaine façon, on peut dire que le gouvernement réclame trop pour les soins de santé, mais pas assez pour ces autres facteurs.