PRO-CROISSANCE VS PRO-DÉCROISSANCE

 

Prenez un enfant en bas âge et présentez-lui une pomme verte en lui disant que cette pomme est jaune et que c’est la seule pomme qui est bonne pour la santé. Répétez-lui cette « vérité » jusqu’à ce qu’il l’accepte et, toute sa vie, il croira que les pommes vertes sont jaunes et que les autres pommes ne sont pas bonnes pour la santé. Je crois que c’est un peu ce qu’on a fait avec plusieurs cohortes de jeunes économistes. On leur a répété que la croissance était bonne et nécessaire pour assurer le bien-être des populations.

Dans la foulée du texte publié en septembre dernier concernant les économistes et la décroissance, il semble pertinent de poursuivre la réflexion compte tenu de la grande place du débat dans l’actualité. Le présent billet examine quelques objections fréquentes adressées aux partisans de la décroissance économique. Dans un premier temps,  l’argument le plus fort pour soutenir la croissance est que celle-ci serait liée au bien-être de la population et que la décroissance pourrait avoir des conséquences apocalyptiques. Certains ajoutent que l’impact de la croissance sur l’environnement est plus nuancé que ce que soutiennent les fervents de la décroissance.  Bref le débat est ouvert !

L’argumentation pro-croissance

À certains moments on a remis en cause les indicateurs de bien-être basés sur la production. L’Initiative du vivre mieux de l’OCDE est un bon exemple de cette remise en cause.  Mais, la corrélation présumée entre bien-être et production n’a pas été suffisamment analysée dans toutes ses dimensions. Si le PIB d’une région augmente de 400 % après une catastrophe naturelle ce n’est pas pour autant que les citoyens seront plus heureux si vous voyez où je veux en venir! Une corrélation n’implique pas nécessairement une causalité. Pour bien saisir l’effet de la croissance du PIB sur le bien-être, il faudrait d’abord s’entendre sur une mesure et ensuite contrôler pour tous les autres facteurs qui influencent à la fois le bien-être et la croissance du PIB. Je pourrais bien sûr vous parler des nombreuses études qui démontrent l’existence d’une corrélation négative entre ces deux indicateurs, mais ce serait tout autant fallacieux. On voit aussi que les mesures économiques sont presque aussi fortement corrélées aux taux de suicide (Tremblay, 2008) ! On sort à tort et à travers des études qui semblent démontrer une corrélation entre croissance économique et bien-être pour se convaincre qu’on fait du bon travail. Les données montrent donc dans la plupart des cas que les riches sont plus heureux que les pauvres et que les habitants des pays riches sont en moyenne plus heureux que ceux des pays pauvres. Donc, les données plaident fortement pour une politique de développement axée sur la croissance du PIB. Il faut se rappeler que la pomme jaune est la seule bonne pour la santé! Cependant, la relation positive entre revenu et bonheur se caractérise par des rendements décroissants. Cela signifie que l’effet d’une augmentation du revenu de 20 000 dollars sur le bien-être s’affaiblit progressivement à mesure qu’augmente le niveau initial de revenu (Senik, 2011). L’augmentation du revenu par habitant accompagne toujours un gain de productivité du travail, ce qui donne davantage de choix aux individus quant à l’utilisation du temps. Un de ces choix est de travailler moins pour mieux profiter de la vie. Comme le soutient Sen (2001), c’est parce qu’elle accroît la liberté de choix qu’on attend de la croissance qu’elle augmente le bien-être des populations.

L’argumentation pro-décroissance

Dans l’autre camp, c’est-à-dire chez les économistes qui soutiennent la décroissance, la préservation de l’environnement est l’argument central de la réflexion. La croissance économique ne peut être infinie dans un monde où les ressources sont limitées !  Les pro-croissance objecteront que la croissance économique permet de consacrer davantage de ressources à la recherche et que les différentes innovations nous permettent d’en faire plus avec moins. Plus la société est riche et plus l’environnement devient une source de préoccupation. Mais n’est-ce pas cette même société de croissance basée sur des besoins illimités qui détruit nos environnements?  Le problème c’est la surconsommation, le gaspillage ! C’est un constat qui rallie bon nombre d’économistes. Ce qui ne fait pas consensus c’est le moyen d’infléchir la tendance. Certains prônent une décroissance brutale et imposée alors que d’autres économistes suggèrent d’agir sur les prix relatifs pour internaliser les coûts sociaux et environnementaux de la production. Évidemment, il existe une position mitoyenne qui propose de miser sur une croissance moins intensive en ressources et en dommages pour l’environnement. Les tenants de la décroissance répondront que consommer de façon responsable, c’est consommer quand même !  L’augmentation constante des quantités produites restera néfaste pour l’environnement. Les partisans de ce modèle prônent donc, à l’échelle mondiale, une réduction contrôlée de l’activité économique, basée sur des notions de simplicité volontaire et de réduction de l’empreinte écologique.

Approfondir la réflexion

Je me situe entre les deux positions extrêmes comme sans doute plusieurs d’entre vous.

Est-ce que la croissance économique est l’ultime but social à rechercher pour assurer le bien-être des populations? Il arrive un moment où l’enfant grandit et se demande si les pommes jaunes sont vraiment jaunes et s’il n’existerait pas d’autres pommes qui pourraient être aussi bonnes sinon meilleures pour la santé ? Bref, je me pose des questions parce que cette belle pomme jaune a laissé des traces néfastes un peu partout où elle s’est imposée.  Non seulement les inégalités entre pays riches et pauvres se creusent, mais la même logique est de plus en plus observable au niveau national. On pourrait aussi parler de l’inégalité intergénérationnelle, c’est-à-dire que notre consommation de ressource combinée à la pollution engendrée par le processus de production constituera un défi sans précédent pour les générations futures.

Est-il temps de remettre en cause la relation entre consommation et bien-être et de reconnaître cette évidence que la croissance ne peut être infinie dans un monde de ressources finies?  Peut-être bien! Mais actuellement la décroissance économique est une approche qui s’oppose à la poursuite du développement matériel. La société consumériste tel qu’elle existe aujourd’hui rend impossible la décroissance.

Les études et les modèles de décroissance économiques sont très peu nombreux. Et le débat entre pro-croissance et pro-décroissance semble fermé comme une boîte de Pandore. Il suffirait d’ouvrir le débat, de présenter le travail réalisé jusqu’ici dans le courant de la décroissance pour que les futures cohortes d’économistes s’y intéressent et cherchent des solutions pour son application future.

Conclusion

Je ne sais pas si la décroissance est la solution à tous les problèmes. J’avance simplement que c’est peut-être une solution et que c’est pourquoi nous devons l’inclure comme une possibilité, l’enseigner et l’étudier dans les programmes de science économique.

 

SEN, A. (2001). Development as Freedom. New York: Alfred Knopf.

Senik, C. (2011). La croissance du PIB rendra-t-elle les habitants des pays en développement plus heureux ?. Revue d’économie du développement, vol. 19(2), 113-190. doi:10.3917/edd.252.0113.

Tremblay, A. (2007). Suicide, migration et rapports sociaux de sexe. Recherches sociographiques, 48(3), 65–96. https://doi.org/10.7202/018004ar