PROJET DE LOI 3 : UNE AUTRE SOLUTION EST POSSIBLE

En vertu du projet de loi nº 3, intitulé Loi favorisant la santé financière des régimes de retraite à prestations déterminées dans le secteur municipal, les déficits actuariels des régimes de retraite du secteur municipal, passés et futurs, ne seraient plus entièrement à la charge des municipalités comme le prévoient les conventions collectives. Les employés actuels en assumeraient désormais une partie, de même que les retraités municipaux dont la rente pourrait être amputée de l’indexation.

Le projet de loi prévoit par ailleurs un processus de négociation et de conciliation qui pourrait s’échelonner sur environ deux ans.

Les causes des déficits actuariels 

En matière d’élaboration de politiques publiques, incluant les projets de loi et règlement, il importe de bien comprendre le problème pour s’assurer de l’efficacité de l’intervention. En l’occurrence, quelles sont les causes des déficits structurels des régimes de retraite en question? Les causes les plus fréquemment invoquées sont le vieillissement de la population, l’augmentation de l’espérance de vie et le faible niveau des taux d’intérêts.

L’on peut toutefois douter qu’il s’agisse là des causes ultimes du problème puisque ces trois variables affichent une tendance relativement stable depuis des décennies, soit une tendance à la hausse dans le cas des deux premières variables et une à la baisse dans celui des taux d’intérêt. Une simple projection de ces tendances aurait ainsi dû permettre de prévoir avec une précision satisfaisante le montant des prestations et, de là, celui des cotisations requises pour éviter les déficits actuariels.

Un premier indice à l’effet que le problème de fond pourrait être le manque de réalisme des prévisions actuarielles est cette affirmation de monsieur d’Amours en commission parlementaire : «[…] dans la majorité des cas, le coût des améliorations négociées s’est avéré bien supérieur à celui prévu».

Un second indice est l’encadrement des prévisions actuarielles prévu à l’article 3 du projet de loi, lequel requiert par exemple l’utilisation de la table de mortalité 2014 pour le secteur public (CPM 2014Publ) de l’Institut canadien des actuaires, d’un taux d’intérêt maximal de 6 % ainsi que d’hypothèses démographiques précises.

Enfin, des prévisions actuarielles de qualité génèrent tantôt des déficits, tantôt des surplus, et non une succession de déficits qui se cumulent en longue période.

Ce doute quant à la qualité des prévisions actuarielles soulève par ailleurs plusieurs questions pouvant conduire à des solutions de rechange à la mouture actuelle du projet de loi. Les municipalités ont elles toutes les ressources et l’expertise requises pour réaliser les prévisions actuarielles? Le jeu de la négociation vient-il biaiser la projection de certaines variables? Devrait-on sortir l’exercice  actuariel du cadre des négociations?

Une autre solution

Le constat et le questionnement qui précèdent quant à la qualité des prévisions actuarielles rendraient envisageable la création d’un régime unique pour l’ensemble des employés municipaux. La mise en œuvre d’une telle solution, adoptée par l’Ontario, s’avérerait toutefois complexe, limiterait l’expression des préférences des employés quant à leurs conditions de travail globales et risquerait d’être mal accueillie par les municipalités. Pour ces raisons, une autre solution plus simple mais potentiellement aussi efficace pourrait être mise en oeuvre.

Ainsi, une version amendée du projet de loi pourrait prévoir la possibilité pour le gouvernement d’imposer par décret un report de l’âge de prise de retraite sans pénalité actuarielle prévu dans certaines conventions collectives librement négociées. Il pourrait s’agir soit des futures conventions, soit de celles signées à compter du 1er janvier 2014.

Les cotisations supplémentaires ainsi prélevées et le montant moindre des prestations à verser serviraient à résorber les déficits passés et ceux prévisibles. Ces reports décrétés de l’âge de prise de la retraite ne viseraient que les régimes déficitaires et pourraient être modulés selon le type d’emploi. La Régie des rentes du Québec produirait un avis sur la pertinence d’un report de l’âge de la retraite pour les conventions collectives ciblées. Le décret reportant l’âge de la retraite aurait une échéance identique à celle de la convention collective courante et ce, afin de donner toute la latitude possible aux parties pour la négociation de la convention collective subséquente. L’encadré présente un exemple fictif illustrant le fonctionnement de la solution proposée.

Les avantages de la solution de rechange

La solution proposée permettrait de soustraire du projet de loi les mesures coercitives faisant l’objet de l’opposition la plus forte, tel le retrait de l’indexation des rentes des retraités et la participation obligatoire des employés à l’élimination des déficits passés.

Elle éviterait de rouvrir des conventions collectives dument négociées, sauf en de rares exceptions au regard de l’âge de la retraite, pour lequel les représentants syndicaux ont déjà manifesté plus d’ouverture. L’épée de Damoclès que constitueraient ces décrets inciterait d’ailleurs les parties à convenir de montages actuariels qui tiennent mieux la route.

Enfin, le report ciblé de l’âge de prise de retraite n’aurait que des conséquences limitées sur l’équité intergénérationnelle. En effet, pour peu que la tendance à l’augmentation de l’espérance de vie se maintienne, les travailleurs dont l’âge de la retraite serait ainsi repoussé par décret profiteraient tout de même d’une durée de retraite plus longue que celle des générations précédentes. 

Conclusion 

La solution de rechange proposée pourrait permettre au gouvernement d’emprunter une voie de passage moins minée au cours de l’automne et laisserait moins de séquelles pour les prochaines rondes de négociation des conventions collectives municipales.

Cette solution consistant à modifier a posteriori l’âge de prise de la retraite établi dans les conventions collectives des employés municipaux doterait le gouvernement d’un levier légal d’intervention simple, efficace et permanent.