Le premier conseil donné aux particuliers en matière de placement est que le placement le plus sûr, et souvent le plus rentable, est de rembourser ses dettes. La raison en est bien simple : les gains provenant des placements sont normalement inférieurs à l’intérêt à payer sur les emprunts. Il pourrait difficilement en être autrement sinon tous les banquiers auraient fait faillite depuis longtemps. Pour échapper à cette logique implacable il faut soit avoir des tuyaux très sûrs, soit s’engager dans les jeux dangereux des placements à terme (en misant sur un renversement des taux d’intérêt) ou des options et autres produits dérivés (en plaçant des multiples des sommes empruntées).
Aussi, a priori, le Fonds des générations mis sur pied par le gouvernement du Québec il y a quelques années soulève la question de son bien-fondé. Ne serait-il pas plus logique pour le gouvernement de rembourser ses dettes au fur et à mesure qu’il réussit à dégager des surplus budgétaires? La documentation rendue publique par le ministre des Finances lors du dernier discours du budget permet de jeter un peu lumière sur cette question. Cette documentation comporte en effet des données sur les taux de rendement obtenus sur les placements du Fonds d’amortissement des régimes de retraite (FARR) et sur les taux d’intérêt payés par le gouvernement sur ses emprunts. Ces informations apparaissent au tableau 1. Bien que le gouvernement puisse avoir des stratégies de placement différentes de celles du FARR, on peut supposer que les rendements sur les placements sont sensiblement les mêmes dans les deux cas.
Tableau 1
Source: Gouvernement du Québec, Budget 2013-2014 – Plan budgétaire, D-29.
La différence moyenne entre les taux débiteurs et créditeurs sur la période de 18 années est de 1,7 point de pourcentage. A priori ces chiffres appuient la logique derrière le Fonds des générations puisqu’un rendement annuel moyen de 1,7% représente un gain de 14,4% après 8 années et de 30,9% après 16 années. Il faut même se demander si le gouvernement n’aurait pas intérêt à se transformer en banque d’affaires et à émettre davantage de titres de dettes pour pouvoir augmenter ses versements au Fonds des générations. À long terme, il pourrait non seulement rembourser sa dette mais même abolir les impôts et les taxes. Cela semble presque trop beau.
De fait, le dernier budget dénote une attitude plutôt ambivalente du ministre des Finances à l’égard du Fonds puisque tout en promettant d’y verser éventuellement le bénéfice accru résultant de la fermeture de Gentilly-2, ainsi que différents revenus à venir[1], il en retire immédiatement 1 milliard $ aux fins de rembourser la dette.
Cette ambivalence tient peut-être au fait que l’écart entre les taux créditeurs et débiteurs peut souvent être négatif. Ainsi, dans le tableau 1, cela a été le cas pour 5 années sur dix-huit. De plus, ces écarts négatifs ont été de l’ordre de 10 points ou plus 4 fois sur cinq. Ce déficit de rendement a même été de 29,8 points en une occasion. À l’inverse, les écarts positifs ont généralement été inférieurs à 10 points. Ces différences entre les écarts positifs et négatifs s’expliquent essentiellement par le fait que le gouvernement emprunte sur le marché obligataire alors que les placements se font en bonne partie sur le marché des actions, soit un marché où les revenus sous forme de dividendes ou les gains (ou pertes) spéculatifs ont une plus grande variabilité et une plus grande amplitude que les taux obligataires. De fait, le tableau 1 montre bien que les taux de rendement des placements sont beaucoup plus volatils que les taux d’intérêt sur les emprunts.
En somme, même si l’expérience du FARR confirme qu’il peut être avantageux en moyenne pour un emprunteur institutionnel de faire des placements plutôt que de rembourser ses dettes, cette approche n’est pas sans risques sérieux comme l’ont démontré les expériences malheureuses de la Caisse de dépôt et placement, de la Banque Nationale et la Société générale de financement en 2008. Il est donc permis de se demander si les rendements moyens somme toute modestes du Fonds justifient les risques non négligeables qu’il représente.
Pour le gouvernement, l’intérêt véritable du Fonds des générations se situe peut-être à un autre niveau. Par son appellation même, le Fonds projette une image forte, celle du souci de laisser des finances publiques en ordre aux générations futures. Il peut aussi faire bonne impression auprès des milieux financiers puisqu’il dénote une volonté de contrôler l’évolution à long terme de la dette. Le Fonds peut aussi constituer un subterfuge commode pour soustraire tout surplus budgétaire éventuel à la convoitise des demandeurs de programmes de tout acabit.
Le Fonds apparaît donc comme un expédient utile pour différents objectifs. Cependant, compte tenu des incertitudes entourant son rendement réel il est souhaitable qu’il ne demeure qu’un outil secondaire dans l’arsenal du ministre des Finances.
[1] Soit les revenus découlant de l’indexation annuelle de l’électricité patrimoniale (2014), les hausses de la taxation sur les boissons alcooliques (2014-2015) et les redevances minières (2015-2016).