QUE VAUT LA CRITIQUE ALBERTAINE AU SUJET DE LA PÉRÉQUATION REÇUE PAR LE QUÉBEC

Certains évoquent que la péréquation versée au Québec par Ottawa lui permet de se payer des services publics de luxe. Les garderies à contribution réduite sont souvent citées en exemple comme étant un service public qui n’a pas d’équivalence ailleurs au Canada. De tels propos ont notamment été utilisés lors de la dernière campagne électorale albertaine. Même s’il est vrai que le Québec reçoit de la péréquation, c’est plutôt en prélevant plus d’impôts et de taxes auprès de ses propres citoyens que le Québec peut leur offrir plus de services qu’ailleurs.

D’abord, il faut rappeler que le principe même à la base de la péréquation est inscrit dans la constitution canadienne. On y lit que

Le Parlement et le gouvernement du Canada prennent l’engagement de principe de faire des paiements de péréquation propres à donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour les mettre en mesure d’assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables.

On en déduit que ces paiements mettent les provinces moins nanties en mesure d’offrir des services publics à un niveau de qualité comparable à la moyenne des provinces sans qu’elles soient obligées d’imposer à leurs citoyens un fardeau fiscal plus élevé que la moyenne. En 2012, six provinces ont reçu des paiements de péréquation : l’Ile-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec, l’Ontario et le Manitoba.

Sous l’angle des droits totaux de péréquation reçus par les provinces, il est vrai que le Québec semble recevoir la part du lion avec près de 7,4 milliards $ en 2012-2013 du total de péréquation estimé à 15,4 milliards $. L’Ontario arrive deuxième avec un versement d’environ 3,3 milliards $ et l’Ile-du-Prince-Édouard est la province bénéficiaire qui reçoit le moins de droits totaux de péréquation avec 337 millions $.

Toutefois, il importe de refaire le calcul de la péréquation sur une base par habitant. Deux provinces ayant la même capacité fiscale, si l’une d’entre elles est deux fois plus populeuse, elle recevra deux fois plus de péréquation. Sous l’angle de la péréquation versée aux provinces par habitant, l’analyse offre une perspective déjà bien différente. Dans ce cas, c’est l’île-du-Prince-Édouard  qui arrive en tête avec un montant de 2 378 $ par habitant. Si quatre provinces reçoivent plus de 1 300 $ par habitant, le Québec arrive en avant-dernière position des provinces bénéficiaires avec 943 $ par habitant et l’Ontario ferme la marche avec 249 $ par habitant.

Si le Québec et l’Ontario reçoivent la plus grande part des droits totaux de péréquation en raison de leurs poids démographiques au sein des provinces admissibles, leurs droits de péréquation par habitant arrivent toutefois en dernière position.

Allons maintenant au concept de ‘péréquation nette’ qui intègre non seulement la péréquation reçue par une province, mais y soustrait par ailleurs les impôts fédéraux prélevés dans celle-ci pour la financer. D’abord, il faut savoir que les montants de péréquation sont payés par le gouvernement fédéral à partir des revenus qu’il prélève dans tout le Canada. Cela veut dire que les Québécois, comme tous les autres Canadiens, contribuent au financement du programme par l’ensemble des impôts et taxes qu’ils versent à Ottawa.

En 2012, comme la péréquation coûtera 15,4 milliards $ au trésor fédéral, les Ontariens en payant leurs impôts fédéraux y ont contribueront donc autour de 6 milliards $, les Québécois autour de 3 milliards $, les Albertains pour 2,6 milliards, etc. Une fois soustraites les recettes fédérales perçues pour financer la péréquation, la péréquation nette atteint 540 $ par habitant au Québec. Quatre provinces reçoivent plus de péréquation que le Québec.

En Ontario, même si la province bénéficie de la péréquation, les sommes prélevées en Ontario pour le financement de la péréquation sont encore supérieures aux sommes reçues, le coût net par habitant est légèrement inférieur de 200 $. Dans le cas d’une province nantie comme l’Alberta, elle ne reçoit aucune somme en vertu de la péréquation et les recettes prélevées sur son territoire par Ottawa pour son financement atteignent plus de 690 $ par Albertain.

Péréquation totale par province – 2012-2013 – en milliards de dollars

Péréquation par habitant– 2012-2013 – en dollars

Péréquation nette par habitant– 2012-2013 – en dollars

En cessant d’analyser la péréquation uniquement par les droits totaux par province, le portrait devient plus contrasté. Une fois cela fait, on peut donc revenir à l’esprit derrière la péréquation. La somme reçue par une province au titre de la péréquation sert uniquement à la mettre en mesure d’offrir autant de services que les autres. Bien sûr, une province reste libre de ne pas offrir autant de services à ses citoyens tout comme elle peut choisir d’en offrir davantage. Mais, le cas échéant, ces services seront financés par un fardeau fiscal plus élevé de ses contribuables.

C’est exactement ce qui se passe au Québec. Les Québécois ont accès à plus de services publics que les autres Canadiens, mais ils ont également le fardeau fiscal le plus élevé au Canada. En 2008-2009, le poids des prélèvements fiscaux de l’ensemble des administrations publiques en proportion du produit intérieur brut (PIB) représentait au Québec près de 39 % comparativement à 31 % pour les autres provinces canadiennes. Ce fort écart de prélèvements fiscaux finance évidemment davantage de services publics.

Qui plus est, même si le Québec se ravisait et décidait de réduire les services qu’il offre à ses citoyens, cela ne modifierait en rien le montant de péréquation qu’il reçoit. Il n’y a pas de lien ni en théorie ni dans les faits entre le montant des services que le Québec décide d’offrir à sa population et le montant de péréquation que lui verse le gouvernement fédéral.

Ce ne sont donc pas les paiements de péréquation qui financent les dépenses additionnelles du Québec, mais des impôts et des taxes plus élevés qui sont payés par les Québécois.

Luc Godbout est professeur à l’Université de Sherbrooke et chercheur à la Chaire en fiscalité et en finances publiques

luc.godbout@usherbrooke.ca

Twitter : @Luc_Godbout

Ce texte a été publié par l’auteur comme une chronique dans le Journal La Tribune en juin 2012.