QUELQUES RÉFLEXIONS SUR L’INNOVATION

Un thème récurrent chez les différents commentateurs est celui de la nécessité d’innover ou de sortir des sentiers battus. Ceci deviendrait encore plus prioritaire pour nos sociétés vieillissantes, tout probablement moins portées vers le changement.

Ce blogue se divise en deux parties. En premier lieu, il s’agit d’introduire une réflexion sur la nature de l’innovation et sur des conditions favorables à sa présence. Le tout sera ensuite illustré par un cas, les déboires au début des années soixante d’un centre de recherche impliquant deux novateurs de la science économique, James Buchanan et Ronald Coase.

Dès le départ, je dois avouer que je ne suis pas la meilleure personne pour parler d’innovation. Ma longue carrière universitaire se résume en un seul mot, celui de traducteur. C’est la traduction ou l’application de travaux importants d’économistes au milieu. L’objectif n’est pas ici d’innover, mais plutôt de transmettre les connaissances en essayant d’assimiler les développements dans différents secteurs de la discipline et de les traduire à son environnement.

Adaptation versus innovation

Toute catégorisation conserve un certain degré d’arbitraire. Il demeure toutefois utile de distinguer entre l’ajustement marginal qui s’identifie à une adaptation et l’innovation proprement dite qui correspond à une discontinuité ou à un important saut. Les deux catégories impliquent des niveaux de risques très différents.

L’adaptation s’opère dans un univers plus prévisible ou moins incertain. Par exemple, l’existence de brevets a rendu le secteur des produits pharmaceutiques très dynamique. En moins de cinquante ans, plus de 1200 nouvelles entités chimiques ont vu le jour. Bien sûr, les nouvelles entités ne sont pas toutes des percées importantes. Un très grand nombre vise à se distancer légèrement des molécules rentables existantes pour obtenir une part du marché et des profits. Il en est de même à l’université : les découvertes majeures sont très peu nombreuses, la majorité des publications ajoutant peu aux connaissances. Les universitaires imitent plus qu’ils innovent, en ajoutant des points-virgules.

Facteurs favorables à l’innovation

Le choix de vouloir sortir des sentiers battus, qu’est l’innovation, rend cette action très risquée, avec un faible taux de succès. En contrepartie, elle implique beaucoup de crackpots ou d’idées cinglées. Il ne peut en être autrement dans l’activité de sortir des idées reçues.

Différents facteurs influencent l’attrait de l’innovation. En voici quelques-uns, certains s’appliquant davantage au secteur non marchand. Premièrement, l’entrée dans une activité, telle la recherche d’une innovation, est facilitée si la sortie n’est pas onéreuse, comme en absence d’opprobre vis-à-vis l’échec et la faillite. Selon une récente publication (McArdle, 2014), l’Amérique serait unique dans sa volonté de laisser échouer les gens et les entreprises, mais aussi dans sa détermination de les laisser se relever après la chute, l’échec étant la façon dont les gens et les entreprises apprennent.

Un facteur favorable à l’innovation est sûrement une plus grande ouverture de la société. Des intérêts bien ancrés et un establishment puissant permettent de s’isoler des remises en question, ce qu’est l’innovation. Ils permettent un protectionnisme sous différentes facettes pour éviter la concurrence. Je ne peux m’empêcher ici de penser aux différentes actions de l’Union des producteurs agricoles.

Les bureaucraties conservent généralement une aversion au risque. La dynamique implicite de la structure hiérarchique privilégie l’absence de création de problèmes et défavorise ainsi les remises en question. Celles-ci impliquent nécessairement des difficultés. Voilà un environnement défavorable à l’innovation.

Un exemple d’entrave à l’innovation en économique

Des entraves à l’innovation sont constamment présentes. Peut-on y trouver une illustration provenant de notre discipline, la science économique ? C’est apparemment le cas d’une demande refusée de subvention en 1960 du Thomas Jefferson Center de l’Université de Virginie. (Levy et Peart, 2013.)

Au début de mes études d’économique en 1960, la science économique était dominée par la macroéconomie et par un esprit keynésien qui se faisait le promoteur des interventions gouvernementales et de la planification. Un establishment progressiste dominait la discipline, qui se donnait d’ailleurs un rôle d’ingénieur social.

Le département d’économique de l’Université de Virginie et son centre Jefferson ne correspondaient pas à cette orthodoxie. Ils incluaient deux futurs prix Nobel avec des approches aux antipodes de l’esprit keynésien. Ce sont James Buchanan avec les aspects des choix publics et constitutionnels et Ronald Coase, pionnier de l’économique du droit et qui publiait alors l’un de ses deux textes majeurs, The Problem of Social Cost (1960).

Dans le contexte de cette période, il n’est pas surprenant de constater un refus de la Ford Foundation à une demande de subvention du Jefferson Center. D’ailleurs, le conseiller de la Fondation dans ce dossier était un économiste progressiste, Kermit Gordon, qui fut Directeur du budget des administrations Kennedy et Johnson et ensuite président d’une institution près du parti démocrate, le Brookings Institution. Il fit un procès idéologique à la demande, comme en témoigne la correspondance publiée par Levy et Peart. On attribue souvent aux autres ses propres défauts.

Ce texte n’a voulu que formuler quelques réflexions sur un thème fort important, mais si peu analysé.