Quels seraient les effets d’augmenter les frais de garde de 7$ à 10$ ?

Un groupe de réflexion du Parti libéral du Québec a récemment proposé de majorer, lors de la première année d’un nouveau mandat du Parti libéral, de 3 $ le tarif quotidien des services de garde (SDG) dans les centres de la petite enfance (CPE) du Québec. Cela ferait passer le tarif de 7 $ à 10 $ par jour. Ce tarif serait par la suite indexé.

Cette idée circule depuis déjà un certain temps. Lorsqu’une première majoration du tarif (de 5 $ à 7 $) des SDG avait été appliquée en 2004, il avait déjà été pressenti que des augmentations et indexation subséquentes seraient nécessaires pour limiter le fardeau croissant de la politique de financement direct des CPE par le gouvernement. Depuis, l’idée avait toutefois été mise de côté par le gouvernement libéral, possiblement pour des raisons politiques.

Un modèle de microsimulation

Tout comme pour un précédent blogue[1], le sujet de celui-ci m’a été inspiré par un projet de recherche que j’ai eu la chance de développer en collaboration avec Nicholas-James Clavet (chercheur au CIRPÉE et à l’Université Laval) au cours des dernières années. Ce projet a été financé par le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC) dans le cadre d’un partenariat avec le Ministère de la Santé et des Services sociaux et le Fonds de recherche en santé du Québec.

Ce projet a donné lieu à un modèle de simulation qui permet de saisir les effets des politiques publiques (dont le mode de financement des SDG au Québec) sur les comportements de travail, les revenus familiaux et les finances publiques. Unique au Québec et au Canada, le modèle rend entre autres possible la simulation des effets ex ante de réformes envisageables aux politiques publiques, et ce, dans un cadre micro-économétrique structurel de choix des comportements de travail qui prend en compte la complexité des prélèvements fiscaux et des différentes mesures de soutien du revenu familial. Ce travail de simulation se fait de plus en utilisant un large échantillon représentatif d’individus québécois.

Le modèle utilisé est donc de nature à la fois comptable (puisqu’il incorpore la fiscalité et les transferts aux particuliers), populationnel (puisqu’il est représentatif de la population québécoise et ne repose pas sur des agents représentatifs) et comportemental (puisqu’il permet des ajustements de comportements). L’année de référence est 2004 puisque les paramètres comportementaux (les paramètres qui donnent les élasticités revenus et salaires) permettant de faire les simulations ont été estimés sur la base des comportements observés en 2004. La description détaillée du modèle et les détails des calculs peuvent être consultés à http://www.ecn.ulaval.ca/~jyves/publications/svgarde-publ01.pdf .
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Effets d’une augmentation des tarifs en CPE

Le modèle fournit donc les effets prévisibles d’une augmentation de 3 $ des frais de garde (soit de 780 $ par année à temps complet). Les résultats apparaissent dans le Tableau 1. 

 Tableau 1: Effets d’une augmentation des tarifs des CPE à 10 $ par jour 

Effets

Mères en couple

Mères monoparentales

Nombre annuel d’heures initialement travaillées

933

1280

Variation du nombre d’heures travaillées due au retrait du marché du travail

-0,73 %

-3,07 %

Variation du nombre d’heures travaillées due à la réduction du travail

-0,08 %

-0,35 %

Variation du nombre total d’heures travaillées

-0,81 %

-3,42 %

Revenu familial net initial (réduit des frais de garde)

46 476 $

25 928$

Frais de garde initiaux en proportion du revenu familial

3,9 %

8,2 %

Variation du revenu familial net des frais de garde

-0,8 %

-1,6 %

Variation du revenu familial net des frais de garde (en dollars)

-372 $

-408 $

Revenus nets provinciaux

+54 176 000 $

+4 467 000 $

Revenus nets provinciaux per capita

+500 $

+414  $

Revenus nets fédéraux

-11 069 000 $

-1 108 000 $

Revenus nets fédéraux per capita

-102 $

-103 $

Revenus nets gouvernementaux totaux

+43 106 000 $

+3 359 000 $

Revenus nets totaux per capita

+398 $

+311 $

Les prévisions sont qu’une augmentation des tarifs réduirait les heures annuelles de travail des mères d’enfants de 0 à 4 ans. Cet effet serait environ 4 fois plus fort chez les mères monoparentales (-3,42 % du nombre annuel d’heures égal à 1280, soit une chute de 43,8 heures en moyenne) que chez les mères avec un conjoint (-0,81 %, soit une baisse de 7,6 heures en moyenne). Cela est dû au fait que l’élasticité de comportement des mères monoparentales est plus élevée, et que le salaire net de ces mères est aussi plus faible (et que les incitations au travail sont donc moins élevées). La plus grande part de cette baisse des heures travaillées (-0,73 % et -3,07 %) est due au retrait du marché du travail.

Le revenu net des femmes (incluant le revenu du conjoint s’il y a lieu, mais réduit des frais de garde), s’établit initialement en moyenne à 46 476 $ pour les mères en couple et à 25 928 $ pour les mères sans conjoint. Les frais de garde initiaux diminuent la moyenne du revenu des mères monoparentales de 8,2 % et de 3,9 % pour les mères en couple. L’augmentation des frais de garde ferait diminuer de 372 $ le revenu net des mères avec un conjoint et de 408 $ celui des mères monoparentales, ce qui réduirait leur revenu moyen de 0,8 % et de 1,6 % respectivement.

Une augmentation des tarifs des CPE à 10 $ par jour procurerait au gouvernement provincial des revenus nets supérieurs de 58 643 000 $. La grande partie de ces revenus proviendrait des mères biparentales (54,2 M$), mais per capita les revenus proviendraient à peu près également des mères biparentales (500 $) et monoparentales (414 $). Le gouvernement fédéral essuierait toutefois des coûts nets (tirés de la diminution de l’offre de travail, de déductions pour frais de SDG plus importantes et de transferts – de.g., prestation fiscale pour enfants – plus élevés) de 12 177 000 $. Le gouvernement provincial connaîtrait aussi une baisse de ses recettes fiscales et une augmentation de certains de ses transferts, mais l’effet de la baisse des subventions aux CPE l’emporterait largement.

L’augmentation des tarifs est avantageuse fiscalement pour les deux niveaux de gouvernement combiné: les recettes nettes per capita augmenteraient de 398 $ pour les mères en couple et de 311 $ pour les mères monoparentales.

Notons ici un effet pervers et peu compris d’une telle politique d’augmentation universelle des tarifs en CPE. Toutes les familles, indépendamment du type de service en CPE dont leurs enfants bénéficient, seraient tenues de subir la même augmentation de tarifs. Cette augmentation de tarifs aurait donc un impact identique sur toutes les familles fréquentant les CPE, quoique plusieurs de ces familles (entre autres les familles monoparentales) aient davantage recours à des services en CPE en milieu familial et en installation avec but lucratif. Ces services sont moins subventionnés directement par l’État et sont moins coûteux.

 Que peut-on en penser?

Une augmentation des tarifs en CPE de 7 $ à 10 $ par jour ferait baisser l’offre de travail des femmes, et serait davantage coûteuse aux mères monoparentales qu’aux mères en couple. Elle générerait toutefois des économies pour le gouvernement provincial (et des coûts pour le gouvernement fédéral, en raison de ses effets sur le travail, les transferts et les impôts sur le revenu des particuliers). Cette mesure serait donc bénéfique aux finances publiques provinciales mais elle ne permettrait pas d’accroître de manière significative la transparence et l’efficacité du choix des services de garde en CPE.

Un des facteurs sous-tendant l’augmentation substantielle des coûts des services de garde en CPE au cours des dernières années est en effet l’absence d’application du principe d’usager-payeur aux services de garde. Ceux qui utilisent les services de garde financés directement par l’État ne disposent que de peu d’informations sur le coût (réel) de ces services. Il en résulte une sur-utilisation des services en question et une pression naturelle à la hausse sur le coût de ces services. Des groupes de pression variés ont par ailleurs tout intérêt à militer en faveur d’une augmentation de la contribution des gouvernements au financement de ces services, sachant qu’ils seront appuyés à la fois par les usagers et par les fournisseurs de ces services. Des pressions à la hausse sur les coûts des services publics ainsi qu’une sur-utilisation de ces services sont phénomènes courants lorsque ceux qui profitent de ces services ont peu d’informations sur (et ne paient pas non plus) le coût réel de ces services.

Bien qu’elle contiendrait légèrement la sur-utilisation de services subventionnés, une augmentation de 3 $ des frais en CPE n’allégerait malheureusement pas significativement la pression à la hausse sur les frais de fourniture de services de garde directement subventionnés par l’État. Cette mesure serait de plus inéquitable puisqu’elle ferait porter un fardeau égal à des familles ne profitant pas du même niveau de subventions directement payées aux CPE fréquentés par leurs enfants. En effet, la même augmentation de frais serait demandée à toutes les familles, indépendamment du type de CPE fréquenté par leurs enfants, et indépendamment aussi de leur niveau de revenu.


 


[1] À qui profitent les services de garde à sept dollars? Libres Échanges, 16 novembre 2011 http://w1p.fr/44005