Le droit de mutation immobilière est une taxe qui doit être payée à la municipalité lors de l’acquisition d’un immeuble neuf ou usagé et du terrain ou du terrain seulement. Cette taxe est connue sous le nom de taxe de bienvenue pour deux raisons : c’est une taxe payée par le nouvel acquéreur ou du nouveau venu. Le projet de loi créant cette taxe fut initialement parrainé par le ministre libéral des Affaires municipales, Jean Bienvenue mais adopté après la victoire de 1976 du Parti Québécois.
De 1976 à 1992, les corporations municipales avaient le pouvoir de prélever cette taxe sans y être obligées. Ce n’est plus le cas depuis janvier 1992; elles ont l’obligation d’appliquer le droit de mutation immobilière aux taux suivants, fixés par le Gouvernement du Québec :
•Province de Québec, hors de Montréal :
∘ 0,5 % sur les premiers 50 000 $;
∘ 1,0 % sur la tranche de 50 001 $ à 250 000 $;
∘ 1,5 % sur la tranche qui excède 250 001 $.
•Pour Montréal :
∘ 0,5% sur les premiers 50 000 $;
∘ 1,0 % sur la tranche de 50 001 $ à 250 000 $;
∘ 1,5 % sur la tranche de 250 001 $ à 500 000 $;
∘ 2 % sur la tranche de 500 001 $ à 1 000 000 $;
∘ 2,5 % sur la tranche qui excède 1 000 001 $.
Le droit de mutation immobilière est une taxe répandue au Canada et aux États-Unis. Il s’applique dans 37 états des États-Unis. En France, les droits de mutation sont passés cette année de 3,8 % à 4,5 % dans la majorité des départements en plus d’un droit communal de 1,2 %.
Les droits de mutation immobilière sont-ils une source importante de financement pour les municipalités ? En 2012, elles avaient des revenus de fonctionnement de 17,9 milliards dont 52,4 % ou 9,4 milliards provenaient des taxes foncières. Pour leur part, les droits de mutation totalisaient 528 millions, soit 3,0 % des revenus de fonctionnement et 5,6% du rendement des taxes foncières. Leur apport dans le budget des municipalités est donc marginal.
Une taxe hybride
Les droits de mutation immobilière ne peuvent pas s’apparenter à une pure taxe provinciale, ni à une pure taxe municipale : ils sont une taxe hybride. D’un côté, le gouvernement provincial rend la taxe obligatoire et en fixe la structure des taux. De l’autre côté, la municipalité perçoit la taxe et bénéficie de la totalité de son rendement.
Ce n’est pas une taxe locale, établie par les élus municipaux et variable entre les différentes municipalités. C’en est une pour la ville de Toronto qui a imposé un droit de mutation immobilière au début de 2008, qui s’ajoutait au droit provincial.
L’incidence selon un jugement rapide
Le psychologue Daniel Kahneman, co-détenteur du prix Nobel d’économie en 2002, a publié un livre intitulé Thinking Fast and Slow traduit sous le titre Système 1, Système 2 : les deux vitesses de la pensée. Notre cerveau aurait selon lui deux systèmes indépendants pour organiser la connaissance.
Le système 1 permet le jugement rapide. Quelle conclusion favorise-t-il dans l’incidence du droit de mutation ? Comme le droit est payable par l’acheteur, il en supporte le coût en plus du prix d’achat, comme c’est le cas pour la TPS et la TVQ. Les personnes changeant souvent de lieu de résidence supporteraient un fardeau plus élevé et devraient envisager une location pour ne pas perdre leur avoir vu leur mobilité. Il faut toutefois se méfier du biais des jugements rapides.
L’incidence selon un jugement lent
Le système 2 de Kahneman, qui est notre réflexion lente, permet de mieux analyser le problème. Qu’en est-il de la taxe sur la mutation immobilière qui est une taxe sur la mobilité ?
Avant de répondre à cette question, un modèle simple et extrême permet d’illustrer les difficultés de déterminer l’impact des taxes. Une « petite économie » a deux facteurs de production : les travailleurs, qui ne désirent aucunement travailler à l’extérieur de cette économie et le capital qui, de par sa grande mobilité, exige un taux de rendement comparable à celui qui existe à l’extérieur.
Dans cette économie, le fardeau d’une augmentation des taxes est à la charge des travailleurs, même dans le cas où cette augmentation frappe le capital. En effet, le rendement net du capital ne peut varier vu qu’il est fixé de l’extérieur.
L’incidence n’est toutefois pas la même pour l’économie. Une taxe sur la masse salariale n’a pas d’effet puisqu’elle implique directement une baisse des salaires. Dans le cas des taxes sur le capital, il y a une sortie de capital jusqu’à ce que le rendement net, soit le rendement brut moins les taxes, soit revenu au niveau antérieur, le niveau international. Cette perte de capital a un important coût pour cette « petite économie ».
Ce modèle simple aide à comprendre la différence de l’incidence entre le droit de mutation, qui ne s’applique qu’à une partie du stock immobilier et la taxe foncière générale, qui s’applique à l’ensemble du stock.
Comme pour le modèle, les deux taxes ont sensiblement la même incidence, soit celle de réduire le prix général des immeubles. « Le financement du gouvernement municipal avec un droit de mutation ne présente aucun avantage apparent sur une taxe foncière ordinaire ». (Dachis et al, 2008:15).
À l’exemple du modèle, les deux taxes n’ont pas le même effet sur l’économie. Le droit de mutation demeure une taxe sur la mobilité, ce qui décourage une affectation optimale du stock immobilier. Un couple dont les enfants ont quitté la demeure aura moins d’intérêt à trouver une résidence plus appropriée à leurs nouvelles conditions.
De plus, la base du droit de mutation est relativement beaucoup plus variable que celle de la taxe foncière générale. Ceci est un inconvénient comme source de financement municipal.
Conclusion
Comme le droit de mutation ne rapportait en 2012 que 5,6 % du rendement des taxes foncières, il faudrait songer sérieusement à l’abolir avec une augmentation de la taxe foncière générale en contrepartie. Ce serait enlever une entrave à la mobilité venant d’une taxe qui a une base réduite, les transactions immobilières. Malheureusement, il y a cette expression : an old tax is a good tax.