QUI SUPPORTERA LE FARDEAU DU PÉAGE SUR LE PONT CHAMPLAIN ?

Qui supportera la présence d’un péage sur le nouveau pont Champlain? Voilà une question intéressante mais compliquée par la présence de différents éléments : nouvelle structure mieux adaptée, présence de couloirs pour un transport en commun rapide, paramètres de la tarification inconnus…Il faut donc simplifier pour bien identifier ceux qui assument le fardeau effectif de la tarification. Le problème à analyser devient le suivant : il existe présentement un quelconque pont Champlain auquel une tarification (non entièrement reliée à l’ampleur de sa congestion) est introduite. Qui assume le fardeau de la tarification qui procure des revenus au propriétaire, l’administration fédérale, ou au gestionnaire de l’infrastructure ?

La loi fondamentale de la congestion routière

Comme la tarification peut être perçue comme une entrave à la libre circulation, il devient utile de référer à une situation contraire, soit à l’impact de l’amélioration de réseau de transport métropolitain sur la congestion routière. Dès 1962, Anthony Downs a expliqué le manque d’impact :

L’expérience récente pour les autoroutes dans les grandes villes américaines suggère que la congestion routière est là pour toujours. Apparemment, peu importe le nombre  de nouvelles  autoroutes construites pour relier les régions périphériques au quartier des affaires du centre-ville, les navetteurs-automobilistes continuent d’avancer très lentement aux heures de pointe du matin et du soir…La véritable cause de la congestion aux heures de pointe n’est pas une mauvaise planification, mais le fonctionnement de l’équilibre de la circulation. En fait, ses résultats sont tellement automatiques qu’on peut même les mettre sous forme de loi de Downs sur la congestion aux heures de pointe, ou  de la Deuxième loi de Parkinson adaptée au trafic: Sur les autoroutes de banlieue urbaine, la congestion du trafic aux heures de pointe culmine pour répondre à une capacité maximale. (Downs 1962 : 393)

Un travail empirique publié dans l’American Economic Review «confirme la »loi fondamentale de la congestion routière» suggérée par Downs (1962) où un prolongement des autoroutes provoque une augmentation proportionnelle du trafic dans les régions métropolitaines des États-Unis.» (Duranton et Turner 2011 : 2645)

La loi de Downs résulte d’une affectation de la route par la congestion ou par la composante-temps du prix global ou du coût du trajet. Elle pose aussi le problème, fréquent en économique, de la détermination du marché de référence. Une partie améliorée d’une autoroute demeure en concurrence avec les autres parties du réseau et aussi avec les autres modes de déplacement comme le recours au transport collectif. Cela devient simplement une application du principe des vases communicants.

Une taxe sur les entrées et sorties du cœur de Montréal

Si un tronçon se trouve en situation de concurrence à l’intérieur du réseau de transport, il en est de même pour une voie d’entrée ou de sortie du cœur de Montréal. Le pont Champlain est une alternative parmi d’autres, même si elle est privilégiée par un nombre très considérable d’usagers.

Qui supporte le fardeau de l’implantation d’un péage sur le pont Champlain? En première analyse, ce sont les utilisateurs du pont qui défraient le tarif; ils ne sont pas en mesure d’en éviter l’acquittement. La question demeure : peuvent-ils transférer le fardeau sur d’autres groupes ? La réponse est affirmative.

La présence d’une tarification améliore la qualité du trajet sur le pont puisqu’elle entraîne une diminution de la congestion et ainsi, un parcours plus rapide. La composante-temps du coût global du trajet s’en trouve diminuée. Le coût global du trajet pour l’usager, qui demeure fidèle au pont après l’introduction de la tarification, augmente moins que le montant exigé. Son fardeau supplémentaire étant moindre que le tarif, une partie du fardeau du tarif est de ce fait transférée.

Qu’en est-il des trajets concurrentiels au pont, incluant les modes de transport en commun ? Des anciens utilisateurs du pont, qui modifient leurs parcours étant donné la tarification, viennent accroître la congestion sur les trajets alternatifs et ainsi augmenter le coût global de leur utilisation.

Si le principe des vases communicants donne la même hauteur du liquide pour les différents récipients, l’équivalent se retrouve pour les parcours concurrentiels avec la venue de la tarification du pont. Par la variation de la congestion, l’augmentation du coût global de leur utilisation correspond à celle que subissent les utilisateurs restés fidèles au pont maintenant tarifé. (Dans le domaine des transports, l’équilibre des vases communicants devient  le principe d’équilibre des réseaux ou du trafic de Wardrop (1952) déjà perçu en 1924 par l’économiste Frank Knight.)

Conclusion

Ce texte a voulu montrer comment le fardeau de la tarification du pont est transféré à l’ensemble des utilisateurs du réseau de transport métropolitain par l’action du principe des vases communicants ou, en termes plus techniques, du principe de l’équilibre des réseaux. Le même type d’analyse s’applique à l’identification des agents économiques qui supportent le fardeau d’une taxe spécifique à un facteur de production, tel le travail, dans un secteur donné comme celui des grandes entreprises.

L’aspect normatif de la tarification du nouveau pont Champlain n’a pas été abordé. Cette implantation accroît-elle le bien-être? Les bénéfices sont-ils supérieurs aux inconvénients ou aux coûts ? Voilà un beau sujet qui mériterait un autre texte.