Le gouvernement canadien annoncera possiblement lors de son budget du 29 mars prochain une réforme importante de son régime de prestations de la vieillesse. Un rapport actuariel du gouvernement canadien prévoit que les dépenses annuelles en prestations fédérales passeront de 41 milliards en 2012 à 73 milliards en 2030 (en dollars constants de 2012), soit une hausse de 78 %. En proportion du produit intérieur brut canadien, ces prestations croîtront de 2,4% en 2012 à 3,1% en 2030. Une telle croissance suscite évidemment certaines inquiétudes étant donné l’incertitude entourant la santé de l’économie canadienne et le fait que les changements démographiques accroîtront au cours des prochaines années la difficulté de financer d’autres dépenses publiques (comme celles sur la santé) et exerceront des pressions sur la productivité des travailleurs et sur les revenus de l’État.
Plusieurs réformes possibles peuvent être envisagées pour contenir la croissance des prestations fédérales de vieillesse. Celle qui a été davantage évoquée au cours des dernières semaines consiste en une augmentation de 65 à 67 ans de l’âge auquel les citoyens deviennent admissibles à la sécurité de la vieillesse (SV) et au supplément de revenu garanti (SRG). Les prestations de SV sont versées à tous les canadiens de 65 ans et plus ayant résidé au Canada durant au moins 10 ans durant leur vie adulte. (La prestation complète nécessite d’avoir résidé 40 ans.) La pleine prestation est de 6 481$ en 2012 et doit être remboursée en totalité ou en partie si le revenu net est supérieur à 69 562$. Les prestations de SRG sont versées aux personnes recevant la SV et dont les autres sources de revenu sont faibles ou inexistantes. La prestation maximale en 2012 est de 8 788$ pour les célibataires et de 11 655$ pour les couples. Elle diminue selon le revenu, devenant nulle si le revenu familial total atteint 16 368$ pour les célibataires et 21 648$ pour les couples.
Le SRG sert ainsi de filet d’assistance de dernier recours pour les gens âgés de 65 ans et plus qui ont peu de revenus. La SV renforce ce filet et soutient les revenus d’un plus grand nombre de retraités, ce qui les maintient généralement hors de la pauvreté.
Nous avons calculé les effets sur les finances publiques fédérale et provinciale d’un report de 65 à 67 ans de l’âge d’admissibilité aux prestations fédérales. Contrairement à un dernier blogue (celui du 7 février à http://bit.ly/wWEvJZ ), les calculs tiennent comptent de l’impôt sur le revenu perçu sur la SV et le SRG. Nous avons aussi pu estimer en quoi la pauvreté des aînés serait affectée par un tel report de l’âge d’admissibilité. Nos calculs reposent davantage sur des données québécoises, mais plusieurs des résultats peuvent être raisonnablement extrapolés au reste du Canada.
La réforme aurait des effets à la fois directs et indirects sur les finances publiques et sur le niveau de vie des citoyens. Des effets indirects se produiraient si la réforme induisait des changements de comportement, soit par un report de l’âge de la retraite, soit par une plus grande épargne pré-retraite. Les effets directs peuvent être calculés en supposant que ces comportements restent constants. Il est plus difficile d’estimer les effets indirects, et nous nous limitons donc ici aux effets directs d’une telle réforme.
Une augmentation dès 2012 de l’âge minimum d’admissibilité aurait fait chuter en 2012 le montant total des pensions de la vieillesse versées aux Québécois de 1,32 milliards de dollars, net des remboursements pour revenus élevés. Une telle politique ferait chuter en 2020 de 1,62 milliards de dollars de 2012 le montant des pensions versées aux retraités québécois et de 1,68 milliards de dollars leur niveau de 2030.
Généralisée au reste du Canada, cette réforme ferait chuter de 3,66 milliards, de 9,26 milliards, et de 8,24 milliards (toujours en dollars de 2012) le coût des prestations de SV et de SRG pour une réforme introduite en 2012, 2020 et 2030. Ces chutes seraient cependant partiellement annulées par une diminution d’environ 1 milliard de l’impôt fédéral prélevé sur les prestations, ce qui ramènerait le gain fédéral à 7,21 milliards en 2030.
Ainsi, en proportion du PIB, et nette de la réduction des impôts fédéraux, la réforme ferait chuter les pensions de vieillesse de 3,1% à l’équivalent de 2,8% du PIB en 2030. La réforme ne limiterait donc que partiellement la croissance du niveau des prestations fédérales.
La réforme aurait des impacts collatéraux négatifs sur les finances publiques provinciales, des effets qui ont été peu documentés au cours des dernières semaines. Deux impacts importants se produiraient. En premier lieu, les dépenses en aide sociale du gouvernement du Québec augmenteraient significativement puisque, ne pouvant plus toucher de pensions fédérales de vieillesse, une partie de la population de 65 et de 66 ans deviendrait admissible au régime provincial d’assistance-emploi (aussi connu comme « aide sociale »). En deuxième lieu, l’impôt provincial sur le revenu des particuliers chuterait puisque le Québec ne percevrait plus d’impôt sur les prestations fédérales de vieillesse.
Nos calculs indiquent que les dépenses provinciales en aide sociale augmenteraient de 70 millions de dollars si la réforme était mise en œuvre dès 2012 et augmenteraient de 60 millions et de 50 millions de dollars si la réforme était introduite en 2020 et en 2030 respectivement. Toujours en dollars de 2012, le Québec perdrait en 2010, 2020 et 2030 environ 90, 160 et 270 millions de dollars en impôt sur le revenu. Globalement, environ 20 % des économies fédérales se traduiraient en coûts additionnels pour les finances publiques provinciales.
L’effet le plus important d’une telle réforme des prestations fédérales de la vieillesse serait probablement sur le niveau de vie des aînés de 65 et de 66 ans. La hausse des prestations d’aide sociale ne compenserait en effet que partiellement la chute de la SV et du SRG. En utilisant la mesure du panier de consommation comme seuil de pauvreté, le taux de pauvreté chez les aînés de 65 et 66 ans augmenterait de 4% à 24,8% en 2020 si la réforme était mise en place en 2020; il augmenterait de 5,9% à 29,8% si elle était mise en oeuvre en 2012.
Il importe de noter à nouveau que ces estimés sont obtenus en supposant que les comportements de travail et d’épargne des Canadiens ne seraient pas affectés par cette réforme. Il est probable qu’un certain nombre de travailleurs travailleraient plus longtemps et épargneraient davantage pour compenser les effets d’une telle réforme sur leur revenu. Il faudrait toutefois que ces changements de comportement soient substantiels pour qu’ils puissent amoindrir significativement les effets directs sur la pauvreté du rapport de l’âge d’admissibilité.
Étant donné ses résultats, il serait important d’envisager des modalités alternatives de réforme ayant un impact plus modeste sur les aînés les plus défavorisés. Cela pourrait se faire par une récupération plus rapide des prestations de la sécurité de la vieillesse chez les retraités les mieux nantis, par un étalement de cette récupération sur une tranche d’âge plus large (allant au-delà de 67 ans), par une réduction des prestations de base appliquée sur une population plus large de retraités (et non seulement sur celle de 65 et de 66 ans), ou par des incitations fiscales plus fortes à retarder la retraite sans toutefois retirer complètement la SV et le SRG entre 65 et 67 ans. Cela permettrait de répartir plus largement l’effet d’une compression des prestations de la vieillesse et mènerait à une hausse moins concentrée et moins importante de la pauvreté chez les aînés.
(Tiré d’un article produit conjointement avec Nicholas-James Clavet, Bernard Fortin et Steeve Marchand, chercheurs au département d’économique de l’Université Laval.)