L’extraction et le raffinage des ressources font appel à des procédés techniques intensifs qui ne passent pas inaperçus. Tout comme il n’est pas possible de faire une omelette sans casser des oeufs, ces activités ont nécessairement un impact sur les populations et sur l’environnement même quand elles sont conduites selon les règles de l’art. L’exploitation des ressources naturelles pose aussi la question de la protection des intérêts des générations futures. Leur laissera-t-on un capital naturel suffisant pour avoir un niveau et une qualité de vie au moins équivalents à ceux d’aujourd’hui? En d’autres termes, le développement économique effectué à partir des ressources naturelles peut-il être un développement durable?
La protection de l’environnement
Il fut une époque où l’ouverture d’une mine à ciel ouvert ou l’implantation d’une fonderie était accueillie comme un cadeau du ciel. Aujourd’hui, les populations sont plus exigeantes et l’harnachement des rivières, les coupes forestières,l’exploration gazière, la prospection d’uranium et l’exportation d’amiante sont soumises à l’examen attentif des résidents, des groupes des pressions et des communautés autochtones. La population est maintenant beaucoup plus sensible aux impacts environnementaux et sanitaires de l’exploitation des ressources et ces impacts doivent être pris en compte dans les analyses avantages-couts visant à déterminer l’opportunité de lancer tout nouveau projet de mise en valeur d’une ressource.
Pour nombre d’économistes, la protection de l’environnement pourrait être assurée en bonne partie par le marché à la condition que le prix demandé pour les ressources prenne en compte – qu’il internalise – les dommages et des couts de diverses natures imposés à des tiers. Il faudrait notamment que l’on attribue une valeur aux ressources communes que constituent l’eau, l’air pur, voire la beauté des paysages. Cependant, ces notions posent des difficultés de mesurage[1] . De plus, pour être efficaces, elles demandent une application concertée par la majorité sinon l’ensemble des gouvernements. La création d’un marché du carbone pour réduire les émissions de gaz à effets de serre constitue une telle tentative d’internalisation des couts environnementaux. Les gouvernements du Québec et de la Californie ont décidé de lancer conjointement un tel marché en faisant le pari que les autres gouvernements nord-américains suivraient tôt ou tard. Il s’agit cependant d’un pari audacieux dont l’efficacité est incertaine et qui pourrait miner la compétitivité des entreprises québécoises et californiennes[2].
Avoir son gâteau ou le manger?
La question de la préservation des ressources pour les générations futures est tout aussi difficile à résoudre que celle de la protection adéquate des populations et de l’environnement.
– Les ressources non renouvelables
Le problème est évident quand il s’agit de ressources non renouvelables. Encore que certaines ressources sont tellement abondantes que, compte tenu du rythme actuel de leur extraction, il n’y a pas de pénuries en vue avant des décennies ou des siècles. Même pour les ressources où les tensions entre les réserves et la demande sont fortes, comme c’est le cas pour le pétrole, il est peu probable qu’il n’y ait jamais épuisement complet. Au fur et à mesure que les prix grimperont la demande se dirigera de plus en plus vers des substituts.
Pour les ressources non renouvelables, la véritable question est celle du rythme d’exploitation qui permette un bénéfice social net maximum sur le long terme. En pratique, ce genre de calcul est difficile à effectuer au plan technique. Il comporte de sérieuses difficultés politiques en ce qui a trait à la valeur présente à accorder aux bénéfices futures. Ainsi, si on voulait accorder la même importance aux générations futures qu’à la population vivant présentement, le taux d’actualisation des bénéfices futurs devrait être zéro ce qui conduirait forcément à réduire le rythme d’extraction des ressources. Or, les communautés qui dépendent présentement de l’exploitation d’une ressource risquent d’être difficiles à convaincre qu’il leur faut se serrer la ceinture au bénéfice des générations à venir. De plus un taux d’actualisation très faible peut s’avérer inutilement vertueux à long terme puisque la demande pour la ressource peut s’effondrer du fait de l’apparition de substituts ou de l’évolution des besoins.
Un effondrement de la demande est cependant très improbable pour les hydrocarbures étant donné que le pétrole et le gaz sont difficiles à remplacer de façon économique pour une bonne partie de leurs usages, notamment en transport. Ainsi, en n’exploitant pas dans les meilleurs délais le pétrole et le gaz présents sur son territoire, le Québec ne fait que thésauriser des ressources qui pourront rapporter gros dans l’avenir. Mais, les revenus qui pourront être obtenus de ces ressources dans un avenir plus ou moins lointain seront-ils suffisamment élevés pour compenser les sacrifices consentis entretemps (ex. moins de revenus utilisables pour la santé, l’éducation, les infrastructures)?
– Les ressources renouvelables
La gestion des ressources renouvelables soulève aussi des questions difficiles dans une perspective de développement durable. En l’absence de précautions adéquates, la régénération d’une ressource renouvelable peut être très longue. Une épinette met plusieurs décennies à atteindre la maturité. La reconstitution des sols arables peut prendre des centaines d’années. Celle d’une nappe phréatique non contaminée encore davantage. Et personne ne sait si la morue redeviendra jamais abondante dans le Golfe Saint-Laurent. Aussi, le rythme de prélèvement des ressources forestières et halieutiques ne peut dépasser certains seuils sous peine de créer des ruptures de stocks qui peuvent affecter longtemps les communautés qui dépendent de ces ressources.
La production électrique renouvelable est un cas particulier. L’eau qui déborde les réservoirs trop pleins ou le vent qui n’a pas rencontré d’éolienne sur son passage sont perdus à jamais. Dans ces cas, il y a une limite à ce que l’on peut conserver pour usage futur. Au début des années 1980, après l’entrée en fonction des centrales des chutes Churchill, de la Manicouagan et de la Baie-James, il pouvait être sensé d’offrir des tarifs incitatifs aux clients industriels ou domestiques. Cela permettait au moins d’amortir les couts fixes qu’avait entrainé la construction des installations hydroélectriques. Aujourd’hui, la situation se présente différemment. Est-il logique de développer des nouvelles installations si leur cout moyen de production dépasse le prix de l’énergie provenant d’autres sources? Ne risque-t-on pas d’être obligé d’écouler les surplus d’énergie à des conditions qui incitent à la surconsommation et représentent une mauvaise allocation des ressources. Déjà, les bas tarifs d’électricité ne sont peut-être pas tout à fait étrangers au fait que le Canada dépasse de loin les autres pays en matière de consommation d’énergie par habitant. À 9,6 tonnes d’équivalent pétrole (TEP) par année, les Canadiens dépassaient les Américains de 33% (7,2 TEP) et les Chinois de 500% (1,6 TEP) en 2009[3].
Étaler les bénéfices sur le long terme: les fonds souverains
Plusieurs gouvernements ont créé des fonds dits «souverains» dans lesquels ils versent des revenus découlant de l’exploitation de ressources dont ils sont propriétaires. Ces fonds permettent de faire des placements à long terme qui pourront contribuer aux finances publiques longtemps après que les ressource auront été extraites. En comparaison avec l’utilisation des redevances pour réduire immédiatement le fardeau fiscal ou le prix de vente de la ressource aux usagers domestiques ou industriels, les fonds souverains ont l’avantage de maintenir la vérité des prix. Plusieurs gouvernements dans le monde ont mis sur pied de tels fonds. Au Canada, le plus connu est le Heritage Fund créé par le gouvernement albertain au début des années 1980. Le Fonds des générations du gouvernement du Québec présente aussi certaines des caractéristiques d’un fonds souverain étant donné qu’il est alimenté par les dividendes d’Hydro-Québec et par les redevances forestières et minières.
En somme, il est illusoire de penser faire une omelette sans casser des oeufs mais au moins peut-on en casser le moins possible quitte à servir des portions plus raisonnables.
CET ARTICLE EST LE CINQUIÈME ET DERNIER D’UNE SÉRIE PORTANT SUR LES RESSOURCES NATURELLES ET L’ÉCONOMIE QUÉBÉCOISE. LES ARTICLES PRÉCÉDENTS ONT ÉTÉ PUBLIÉES LES 30 AVRIL, 2, 8 et 10 MAI 2013 SUR LIBRES ÉCHANGES.
[1] À ce sujet, il faut signaler le travail du militant écologiste Harvey Mead dont nous avons parlé dans un .
[2] À ce sujet voir
[3] THE ECONOMIST, Biggest primary-energy consumers, 12 juin 2010, http://econ.st/ueZeis