Il y a une mentalité de rentier qui sommeille en chacun et qui aimerait que la prospérité vienne et dure du simple fait de la dotation naturelle. D’où ce déchainement de passions au Québec au sujet des avantages économiques obtenus de l’exploitation des ressources naturelles. Depuis longtemps, une large fraction de l’opinion publique se plait à croire que, s’ils étaient moins timorés, les gouvernants imposeraient des redevances et des transformations accrues aux sociétés, souvent d’origine étrangère, qui extraient des ressources des forêts ou du sous-sol québécois. Ce souhait est compréhensible et légitime. Est-il pour autant fondé et réaliste?
L’approche des produits de base
Pendant les premières années de la Confédération, les classes dirigeantes au Canada comme ailleurs étaient opposées à l’impôt sur le revenu, ce qui obligeait les gouvernements à compter sur d’autres sources de revenus. Le gouvernement fédéral s’est tourné vers les tarifs douaniers et les gouvernements provinciaux vers les droits rattachés aux ressources naturelles. Ces droits représentaient alors de 25 à 30% des revenus du gouvernement du Québec[1]. Une telle proportion apparaitrait très élevée aujourd’hui. Malgré tout, des pressions s’exercaient pour que l’extraction des ressources profite davantage à la population, surtout que les besoins en matière de santé, d’éducation et de voirie allaient grandissant. Les gouvernements québécois successifs s’efforcèrent par divers moyens de donner suite à ce souhait. Ainsi, le premier ministre Lomer Gouin restreindra l’exportation des billes de bois non transformées. Par la suite, pour favoriser la production de papier, le gouvernement du Québec taxera puis interdira l’exportation de bois à pâte[2]. De concert avec son homologue ontarien, Taschereau cherchera à créer un cartel du papier au moment où les prix s’effondrent sous l’effet de la grande Crise. Pour sa part, Duplessis favorisera la mise en exploitation du fer du Nouveau-Québec quitte à se faire reprocher de le vendre au prix dérisoire d’une cenne la tonne. En outre, il réprimera durement les tentatives des syndicats d’obtenir de meilleures conditions de travail dans les mines de cuivre et d’amiante.
Manifestement, la vision du développement économique de ces premiers ministres s’apparentait à celle de la théorie des produits de base (staples) déjà évoquée dans un : la prospérité vient de l’exploitation des ressources naturelles et le rôle des gouvernements est d’appuyer les investisseurs quitte, s’il le faut, à intervenir dans le fonctionnement des marchés.
L’approche de la rente
La vision des produits de base est encore présente aujourd’hui alors que les gouvernements québécois font toujours des efforts pour attirer des investissements qui permettront de créer des emplois et des recettes fiscales à partir des ressources hydroélectriques et minières. Cependant, cette vision cohabite de plus en plus avec une autre qui vise à récupérer une part importante de la rente associée aux ressources naturelles. Alors que l’approche des produits de base compte sur la création d’emploi dans les communautés locales et régionales où s’établissement les entreprises, l’approche de la rente vise plutôt à obtenir des bénéfices pour l’ensemble des Québécois en alimentant les finances publiques. La ministre des Ressources naturelles exprimait bien cette dernière approche quand elle déclarait récemment en rapport avec un changement annoncé à la législation minière:
La nouvelle loi […] entend maximiser les investissements en transformation pour rendre les Québécois « encore plus fiers de s’enrichir grâce au minerai».[3].
La rente équivaut à la différence entre la valeur d’une ressource pour les acheteurs, soit le prix qu’ils sont prêts à payer pour l’obtenir, et le cout que représentent pour le propriétaire sa mise en exploitation et sa conservation. Pour qu’il y ait rente, cette différence doit être suffisamment importante pour assurer au propriétaire une rentabilité qui dépasse le profit normalement attendu sur un marché concurrentiel. Et, puisqu’elle se situe au-delà du profit normal, la rente peut en principe être réduite par le biais de la fiscalité sans pour autant affecter les décisions de production des entreprises privées[4].
En pratique, tout n’est pas si simple pour les gouvernements désireux de s’approprier une part substantielle de la rente découlant de l’exploitation d’une ressource. Il leur faut s’assurer que la hausse des taxes, impôts et redevances ne détournera pas les investisseurs vers d’autres sources d’approvisionnement. Ce danger est particulièrement grand pour les minéraux les plus communs, tels le fer, le cuivre ou le zinc. Aussi, au-delà d’un certain seuil difficile à établir a priori, toute augmentation des redevances peut se traduire par des revenus moindres du fait de la désertion des entreprises visées. Bref, comme pour tout produit, la demande pour les ressources naturelles a une élasticité-prix.
Le gouvernement a-t-il tenu compte de cette élasticité-prix quand il a estimé que le nouveau régime de fiscalité minière annoncé le 6 mai dernier rapporterait entre 91 et 220 M$ en 2020[5]? Peut-être car, déjà, la volonté du gouvernement actuel et du précédent de hausser les redevances minières s’est traduite par une forte perte d’attractivité du Québec aux yeux des investisseurs miniers. C’est du moins ce qui se dégage de l’enquête d’opinion publiée récemment par le Fraser Institute :
Quebec, once the darling of miners, appears to have lost its edge, as the province that ranked first worldwide from 2007 to 2010, barely reached the 11th place out of 96 jurisdictions this year. […] Falling from No. 1 to 11th in just three years tells us that the mining policies of the Quebec government, particularly uncertainty around changes to the provincial mining act and proposed royalty hikes, are a serious concern to the global mining community.
En somme pour les gouvernements, la problématique de la rente ressemble à celle de la fable de La Fontaine. On peut pressurer la poule aux œufs d’or pour qu’elle ponde davantage mais il faut prendre garde de l’étouffer.
Le budget 2013-2014
Le budget 2013-2014 du gouvernement du Québec semble inspiré d’une volonté de récupérer la rente des ressources naturelles de diverses façons. Ce budget prévoit des redevances minières, forestières et énergétiques de 1,2 milliard $, ce qui correspond à 1,7% des revenus totaux (72,3 milliards $). Cependant, étant donné les sommes consacrées au Fonds des générations, à la restauration des sites miniers et aux travaux sylvicoles, la contribution nette de ces redevances à l’équilibre budgétaire ne sera en réalité que de 300M$.
REVENUS PROVENANT DES RESSOURCES NATURELLES
GOUVERNEMENT DU QUÉBEC – 2013-2014
Redevances brutes |
Millions $ |
|
260 |
|
231 |
|
749 |
Total : |
1240 |
Droits et permis |
42 |
Versement au Fonds des générations |
-746 |
FRN – Volet patrimoine minier |
-20 |
Sylviculture |
-200 |
Autres |
-16 |
Revenus nets |
300 |
Source : Ministère des Finances et de l’Économie, Plan budgétaire – Budget 2013-2014, novembre 2012, pC17.
Heureusement, les ressources contribuent d’autres manières aux finances publiques. Ainsi, le gouvernement compte sur 2,7 milliards $ de dividendes de la part d’Hydro Québec. De plus, une partie non négligeable de l’impôt sera prélevé auprès des entreprises forestières, minières ou énergétiques, ainsi que de leurs employés.
En somme, le secteur des ressources naturelles apporte une contribution importante aux finances du gouvernement du Québec mais cette contribution ne permet pas aux contribuables québécois de se transformer en véritables rentiers.
CET ARTICLE EST LE QUATRIÈME D’UNE SÉRIE PORTANT SUR LES RESSOURCES NATURELLES ET L’ÉCONOMIE QUÉBÉCOISE. LES ARTICLES PRÉCÉDENTS ONT ÉTÉ PUBLIÉES LES 30 AVRIL, 2 ET 8 MAI 2013 SUR LIBRES ÉCHANGES.
[1] LINTEAU, Paul-André, DUROCHER, René, ROBERT, Jean-Claude, Histoire du Québec contemporain- De la Confédération à la crise (1867-1929), Boréal Express, 1979, p259-260.
[2] Ibid., p362, 451, 581.
[3] Le Devoir, 24 avril 2013,
[4] ANDERSON, F.J., Natural Resources in Canada – Economic Theory and Policy, Methuen, 1985,
[5] Ministère des Finances et de le l’Économie, Un nouveau régime d’impôt minier équitable pour tous, mai 2013, p17.