Il est fréquent d’entendre les partis politiques s’engager à transformer davantage les ressources en produits semi-finis et finis plutôt que de les exporter à l’état brut. Ces engagements répondent aux vœux exprimés par les communautés régionales désireuses de profiter de nouveaux emplois et d’une économie plus diversifiée. Comme dans Cendrillon, on aimerait bien que la citrouille soit transformée en carrosse doré. De fait, le Québec a obtenu de grands succès dans la transformation de certaines ressources. Pour d’autres, les résultats ont été décevants.
Des réussites remarquables
- Le papier journal
Le développement rapide d’un très important secteur de pâtes et papiers apparait certainement comme un grand succès en matière de transformation d’une ressource naturelle. Entre 1920 et 1929, la production canadienne de papier journal passe de 0,9 à 2,3 millions de tonnes[1] et cet essor se manifeste principalement au Québec. De fait, dans la première moitié du XXe siècle, le Québec est devenu le premier centre mondial de production de papier et de nombreuses municipalités ont prospéré grâce à cette industrie : Trois-Rivières, Chicoutimi, Buckingham, Donnaconna, Beaupré, etc..
En parfaite concordance avec la thèse d’Albert Faucher évoquée dans un , ce succès remarquable a été rendu possible par une conjonction d’évènements favorables. Le développement des grands journaux américains avait créé une forte demande pour le papier journal alors que les sources d’approvisionnement en matière ligneuse commençaient à se raréfier. Par contre, l’épinette noire était abondante au Québec et les longues fibres de cette essence étaient propices à la production d’une pâte de grande qualité. D’ailleurs, conscient de la situation, le gouvernement américain avait aboli les restrictions à l’importation de papier. De plus, le Québec disposait de ressources en électricité, en eau douce et en main-d’œuvre qui étaient aussi des facteurs de production important pour l’industrie papetière. Les conditions étaient donc favorables pour que le secteur forestier québécois connaisse un nouveau souffle après le déclin des périodes d’activité antérieure fondées sur l’équarrissage et le bois d’œuvre.
- L’hydroélectricité
Un autre grand succès du Québec en matière de transformation d’une ressource est l’hydroélectricité. À la fin du XIXe siècle des technologies (électrométallurgie, électrochimie) reposant sur l’électricité furent mises au point aux fins de produire des matériaux de base. Le Québec fut immédiatement avantagé du fait de son remarquable potentiel hydroélectrique. La production d’aluminium s’y développa rapidement et, à un moindre degré, celle d’autres métaux et de ferro-alliages. D’autres productions industrielles profitèrent aussi de l’approvisionnement électrique du Québec même si ce n’était pas leur principal facteur de production. Nous avons déjà mentionné les pâtes et papiers mais c’était également le cas des textiles. Plus récemment, la production de légumes en serres s’est développée grâce à une tarification électrique avantageuse.
Les espoirs déçus
Les résultats n’ont pas toujours été à la hauteur des attentes pour ce qui est de la transformation des autres ressources abondantes sur le territoire du Québec.
Pourtant, le gouvernement du Québec a beaucoup fait dans l’espoir de développer les régions ressources, à la fois pour en diversifier l’économie et pour y susciter une transformation plus poussée des ressources extraites. De généreux programmes de subventions et de crédits fiscaux ont été mis sur pied. Des efforts de création de grappes industrielles ont été réalisés dans le cadre du programme ACCORD ou de concepts particuliers (Vallée de l’aluminium, énergie éolienne). Plus récemment, le Plan Nord s’est inscrit dans cette approche volontariste.
Au cours de la Révolution tranquille, la tentative d’établir une sidérurgie québécoise (Sidbec) s’est soldée par un échec coûteux. Même déconvenue dans le cas de l’amiante où, pourtant, le Québec disposait d’une position de force sur le marché mondial. En 2012, il fallut encaisser le déménagement d’une usine de transformation de l’aluminium du Saguenay aux États-Unis et la décision de Cliffs Natural Resources d’établir sa fonderie à Sudbury plutôt qu’à Rouyn-Noranda[2].
Dans son budget 2013-2014, le gouvernement actuel mise sur le crédit d’impôt à l’investissement (C2i) pour favoriser la 1ère, 2e ou 3e transformation des métaux. Ainsi, l’extraction et le traitement primaire (broyage, tamisage, concentration, etc.) du minerai ne sont pas admissibles à ce programme alors que la fonte, l’affinage, le laminage, le forgeage, l’assemblage, la transformation alimentaire et la pharmacologie le sont[3]. Le plan de développement du «Nord pour tous» dévoilé avant-hier[4] bonifie les allocations pour la concentration et le raffinage du minerai. Ces efforts seront-ils plus fructueux que ceux des gouvernements précédents?
Les facteurs de localisation industrielle
En réalité, plus le stade de transformation est avancé, plus la proximité des marchés de consommation l’emporte sur la proximité de la ressource comme facteur de localisation. Cela s’explique en partie par le fait que le produit fini est le plus souvent constitué d’un grand nombre de composantes dont aucune n’est suffisamment importante par elle-même pour constituer un facteur de localisation décisif. Ainsi, il est difficile de trouver un produit fini qui soit uniquement fait d’aluminium, de cuivre ou d’acier. Il y a bien sûr des ustensiles de cuisine en aluminium ou en cuivre mais, même là, le design, la main-d’œuvre, l’expertise en fonderie ajoutent davantage à la valeur du produit fini que le matériau de base. Il est rentable de produire au Québec des lingots d’aluminium, du fil de cuivre, du bois de construction ou du papier journal. Il ne l’est pas d’y imprimer le New York Times. Même la production de tôles d’aluminium pour les avions n’est pas rentable au Québec malgré la présence d’une importante grappe industrielle dans l’aéronautique. Ce genre de production est fait en petits lots selon des spécifications très précises quant aux alliages requis, lesquels font appel à d’autres métaux en plus de l’aluminium.
En fait, sauf circonstances exceptionnelles, les régions ressources peuvent au mieux espérer une première transformation de leurs ressources soit la production de matériaux standardisés en taille et en qualité – des tôles d’acier d’un pouce ou des 2×4 d’épinettes, par exemple – et qui pourront être acheminés à une grande diversité de secteurs d’activités situés en aval dans diverses filières industrielles.
On peut se désoler de ne pas transformer davantage les ressources du territoire québécois, il faut songer que la Guyane pourrait tout autant s’offusquer de ce que sa bauxite soit transformée en aluminium au Québec. On peut aussi se réjouir de ce que le Québec transforme du sucre ou du cacao en produits alimentaires et du pétrole en essence.
En somme, le désir de transformer en produits semi-finis et finis les ressources du territoire est légitime et il faut s’y employer avec détermination mais il faut aussi se dire que la proximité de la ressource n’est qu’un facteur de localisation industrielle parmi d’autres et que souvent ce n’est pas le plus déterminant.
[1] COUTURIER, Jacques Paul, en collaboration avec Réjean Ouellette, L’expérience canadienne des origines à nos jours, Beauchemin, 2002, p289.
[2]ALEXANDRE SHIELD, Secteur minier – Le Québec perd face à l’Ontario, Le Devoir, 10 mai 2012,
[3]MINISTÈRE DES FINANCES ET DE L’ÉCONOMIE, Investir pour assurer notre prospérité – La vision économique du gouvernement, novembre 2012, p52.
[4]MINISTÈRE DES FINANCES ET DE L’ÉCONOMIE, Un nouveau régime d’impôt minier équitable pour tous – Stimuler les investissements miniers, mai 2013, p27.