RESSOURCES NATURELLES : Y EN AURA PAS DE FACILE

Depuis longtemps, les milieux d’affaires, les chercheurs et les communautés régionales font état de la riche dotation du Québec en énergie et en ressources diverses et demandent aux gouvernements la mise en œuvre des politiques permettant de tirer le maximum de bénéfices de cette richesse. Ces points de vue ont été réitérés de façon convaincante par plusieurs conférenciers lors du congrès que l’Association des économistes québécois tenait les 22, 23 et 24 mai dernier sur le thème « Nos ressources naturelles, notre économie, notre avenir ». Cependant, certains conférenciers ont plutôt mis l’accent sur les dangers et les incertitudes découlant d’une trop grande dépendance envers les ressources.

La fin du supercycle minier?

D’abord, Izabella Kaminska (Financial Times) a noté que, depuis 2008, la demande pour les ressources naturelles a été surtout le fait de spéculateurs qui ont profité des faibles taux d’intérêt pour constituer des stocks importants. Il est possible qu’ils se lassent bientôt d’attendre une reprise de la demande et se mettent à écouler les réserves accumulées. Il faudra alors réduire la production ou se résoudre à un effondrement des prix. Dans sa présentation, Andrew Burns (Banque mondiale) s’est dit préoccupé par la fin possible du supercycle des ressources qui a fait en sorte que le prix des métaux et de l’énergie a plus que doublé (en dollars constants) en l’espace de dix années.

Dans le cas du Québec, les perspectives sont encore assombries, selon Pierre Lortie (Dentons), par le fait que les dépenses d’exploration sont en baisse depuis 2009 et par la difficulté de mobiliser les capitaux considérables requis pour mettre les gisements en exploitation. Pour sa part, Pierre Lassonde (Franco-Nevada) a déploré l’attitude très ambivalente du Québec à l’égard du développement minier. Tout en exprimant l’avis qu’un projet comme Osisko rapporte beaucoup plus de retombées que la construction d’un amphithéâtre, il a déploré la méfiance d’une large partie de la population envers les entreprises minières et a dit craindre qu’une telle attitude décourage fortement les grandes sociétés du secteur à investir au Québec. De son côté, Guy Barthell (Raymond Chabot Grant Thornton) a fait observer que le Québec est loin d’être en position de force sur le marché des métaux de base puisque, même avec les projets annoncés, sa production équivaut à moins de 1% du total mondial. La Chine, le Chili, l’Australie et les Etats-Unis sont tous des acteurs beaucoup plus importants.

Un secteur forestier qui n’est plus ce qu’il était

Selon Luc Bouthillier (Université Laval), les perspectives de croissance sont incertaines dans le secteur forestier. En effet, le marché de la construction et du papier journal est en forte baisse aux États-Unis. Le nombre d’emplois combinés des secteurs des pâtes et papiers, des produits du bois, de la foresterie et de l’exploitation forestière est passé de plus de 90 000 en 2000 à moins de 60 000 en 2010 et le nombre d’usines n’était plus que de 208 en 2012 comparativement à plus du double (467) moins de 10 ans auparavant (2005). Sans surprise, les volumes et, par le fait même, les redevances versées au gouvernement sont en baisse depuis 2004.

La révolution du fractionnement hydraulique

La mise en valeur du potentiel de l’Ouest canadien en pétrole et de celui du Québec en énergie électrique est compromise par le chambardement qu’a provoqué au cours des dernières années l’extraction du gaz et du pétrole de schiste par la technologie du fractionnement hydraulique.

En août 2006, Hydro-Québec pouvait exporter de l’électricité interruptible au prix de 10,4 ¢ le kWh. En août 2012, elle ne pouvait plus obtenir que 3,5 ¢ du kWh. Aussi, pour Jean-Thomas Bernard (Université d’Ottawa) la production électrique de la Romaine, comme celle provenant des éoliennes, pourra difficilement être rentable. Elle le sera encore moins si Hydro-Québec doit réduire davantage ses tarifs pour écouler ses surplus. Aussi, le gouvernement du Québec ne pourra plus compter autant que par le passé sur les redevances de la société d’État pour équilibrer son budget et alimenter le Fonds des générations. Le gouvernement pourrait cependant hausser les tarifs chargés aux usagers québécois. C’est du moins ce que pense Pierre-Olivier Pineau (HÉC Montréal) puisque, comparativement aux autres Canadiens, les Québécois paient moins cher leur électricité et en consomment davantage. À l’encontre de l’objection selon laquelle une hausse des tarifs d’électricité équivaudrait à une taxe régressive, le professeur Pineau fait remarquer que les riches dépensent proportionnellement plus pour l’électricité alors que les pauvres dépensent davantage en produits du tabac et en boisson qu’en électricité.

Ce bouleversement majeur du marché de l’énergie prolongera la dépendance aux hydrocarbures. De fait, pour Carol Montreuil (Association canadienne des carburants) les carburants fossiles conserveront une place dominante dans l’économie (80 %) au cours des 20 prochaines années, notamment dans les transports (90 %).

De telles perspectives ne peuvent que compliquer l’atteinte des objectifs ambitieux du Québec visant la réduction des émissions de gaz à effet de serre. À ce sujet, Jean Nolet (ÉcoRessources) doute que les augmentations des prix de l’énergie soient suffisantes pour modifier les comportements. Aussi, pour respecter les contraintes qu’il s’est imposé par la mise en œuvre d’un marché du carbone, le Québec devra vraisemblablement importer des droits d’émission de la Californie où le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre est plus élevé.

Des retombées économiques déclinantes

Non seulement les perspectives de développement de divers secteurs de ressources sont-elles rendues incertaines par différents facteurs conjoncturels ou structurels, mais de moins en moins d’emplois sont créés pour un volume de production donné. Ainsi, Marc-Urbain Proulx (ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire) note que l’extraction d’une tonne de fer faisait appel à 459 travailleurs en 1950 et à 153 seulement en 2010. Selon les informations ayant filtré des projets annoncés, le chiffre pourrait même être réduit à 51 en 2020. De quoi rendre nostalgique de l’époque où Duplessis était accusé de brader le minerai de fer du Nouveau-Québec au prix dérisoire d’« une cenne la tonne ». Par ailleurs, malgré les efforts du gouvernement du Québec et des communautés régionales, les emplois dans la transformation des ressources n’ont guère progressé dans les quatre régions nordiques du Québec (Côte-Nord, Nord-du-Québec, Abitibi-Témiscamingue, Saguenay-Lac-Saint-Jean). Au contraire après un sommet de 41 500 en 1990, ces emplois ont régressé à 28 200 en 2011. De plus, une forte proportion (72 %) des localités des régions ressources sont considérées comme dévitalisées ou en voie de dévitalisation. Manifestement, le projet du « Nord pour tous » a de grands défis à relever.

Conclusion : ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier

Conférencier d’honneur, l’ex-premier ministre Bernard Landry a commencé son intervention en notant que des pays comme l’Allemagne et le Japon ont prospéré malgré une maigre dotation naturelle. Aussi, le Québec et le Canada ne doivent pas oublier que l’innovation et l’investissement sont des facteurs de prospérité aussi sinon plus déterminants que l’abondance des ressources. De fait, ce congrès aura projeté une vision nuancée du potentiel économique que constituent l’énergie et les ressources. Ces ressources constituent certes un actif appréciable, mais elles ne peuvent garantir à elles seules la prospérité des générations présentes et à venir. Le bouleversement du marché de l’énergie introduit par le fractionnement hydraulique illustre bien la fragilité d’un développement fondé sur les ressources. En effet, en quelques brèves années, cette technologie de production des hydrocarbures a considérablement affaibli la position de l’électricité québécoise et du pétrole albertain sur le marché nord-américain.

Plusieurs des présentations faites au congrès sont disponibles sur le site de l’Association des économistes québécois (http://bit.ly/13NKn08).