Le gouvernement du Québec a ouvert un vaste chantier de révision de ses interventions. Outre la création de la Commission sur la révision permanente des programmes et de la Commission d’examen sur la fiscalité, il met en œuvre la nouvelle mouture de la Politique gouvernementale sur l’allégement réglementaire et administratif adoptée en janvier 2014 par le gouvernement précédent. Cette politique prévoit notamment que les ministères et organismes qui sont responsables de l’élaboration de normes ayant des impacts sur les entreprises ou qui concernent les entreprises, doivent se doter d’un mécanisme de révision de ces normes (article 19).
Les programmes, la fiscalité et la réglementation constituent l’essentiel du coffre à outils du gouvernement du Québec. Ces éléments sont tous assimilables à des politiques publiques, en ce qu’ils visent à résoudre un problème ou à améliorer une situation donnée.
Le corpus de politiques publiques, au sens large, compte actuellement 300 lois, 3000 règlements, 500 exigences réglementaires pour les entreprises et un grand nombre de programmes normés et mesures fiscales dites structurantes. Le Système de repérage des politiques publiques inventorie par ailleurs 200 énoncés de politiques, orientations, stratégies d’intervention et plans d’action du gouvernement du Québec.
Il est certes pertinent de chercher à évaluer ces politiques publiques. Un nombre important de nouvelles mesures d’intervention s’ajoutent à chaque année et passent difficilement, selon les experts, le test des critères usuels de la pertinence, de l’efficacité et de l’efficience. Certaines de celles-ci échouent également au test du réel, en ce qu’elles suscitent d’interminables débats, non fondés sur des données probantes, ou doivent être modifiées à plusieurs reprises.
Les limites de l’approche évaluative traditionnelle
S’il est pertinent d’enclencher cet exercice évaluatif, ces milliers de politiques publiques sont toutefois susceptibles d’être évaluées et révisées selon l’approche traditionnelle, c’est-à-dire une à une par les groupes de travail et les ministères et organismes concernés, ceci en tenant compte des résultats de la consultation dans le cas des programmes en tant que tel. Il s’agirait là d’un travail titanesque!
De plus, plusieurs raisons portent à croire que cette approche évaluative traditionnelle, ou à la pièce pourrait ne pas porter beaucoup de fruits. Premièrement, les évaluations sont rarement conclusives, en raison principalement de la difficulté de quantifier les avantages intangibles. Deuxièmement, les impacts finaux (outcome) des mesures individuelles ne sont pratiquement jamais évalués, sous l’argument que trop de facteurs externes et incontrôlables affectent ceux-ci. Or, ce sont précisément ces impacts ultimes (ex. réduction des accidents routiers) qui intéressent le citoyen! Enfin, il s’avère de plus en plus difficile d’y voir clair ou d’avoir une vue d’ensemble sur cet enchevêtrement de politiques publiques qui activent des chaînes de causalité complexes.
L’approche de l’évaluation systémique globale
Considérant les limites inhérentes à l’évaluation traditionnelle des interventions gouvernementales existantes, il est proposé d’explorer une nouvelle approche évaluative basée sur des grappes de politiques publiques (ci-après les grappes). Cette nouvelle approche n’emprunte aux grappes industrielles que l’image de la grappe de raisin. Elle est fondée sur la conception suivante du rôle du gouvernement : créer, de façon supplétive aux défaillances du marché, un maximum de satisfaction ou de bien-être pour les citoyens, ceci en exerçant une ponction en ressources publiques et privées garante du maintien de la compétitivité de l’économie. La satisfaction, ou bien-être, de la population est ainsi vue comme la finalité ou le dénominateur commun de toutes les politiques publiques.
Conformément à cette vision, les grappes correspondraient aux attentes majeures du citoyen, telles celles énumérées au tableau suivant.
Attentes ou besoins du citoyen |
Nom de la grappe |
Un emploi stable et un revenu personnel disponible permettant de s’offrir des biens et services à bon rapport qualité/prix | Développement économique (intègre les sous-grappes RST, politique industrielle, etc.) |
Accès à l’éducation, au savoir et à la culture | Éducation |
Accès à la justice | Justice |
Un environnement sain | Environnement |
La sécurité | Sécurité (dont la sous grappe de la sécurité routière) |
La défense identitaire | Identité |
La solidarité sociale | Solidarité |
La prévention et le traitement de la maladie | Santé |
Le schéma suivant illustre la structure en six composantes d’une grappe de politiques publiques.
À gauche du schéma apparaît le bloc des politiques existantes (politiques, lois, règlements, programmes, certaines activités, etc.) constituant la grappe. Dans le cas de la sous-grappe de la sécurité routière, l’on retrouverait par exemple le Code de la sécurité routière et la surveillance routière.
Le deuxième bloc en se dirigeant vers la droite est celui du panier des mesures concrètes d’intervention contenues auxdites politiques (ex. contravention pour vitesse excessive). Il importe d’identifier ces mesures car ce sont elles qui modifient les comportements et génèrent les résultats.
L’on retrouverait ensuite le système (ex. système routier) que l’on cherche à influencer favorablement puis les déterminants naturels et hors contrôle (ex. verglas) dudit système. Des flèches illustrent les chaînes d’influence des déterminants, les chaînes d’impacts des mesures ainsi que les liens de causalité internes au système. Viennent ensuite, au centre et en bas du schéma, le ou les résultats visés (ex. réduction de 100 morts sur les routes), en lien direct avec le besoin ou l’attente à satisfaire. Enfin, la sixième et dernière composante du schéma, tout en bas, est la satisfaction ainsi générée.
Cette approche évaluative est novatrice, mais elle s’inspire tout de même des modèles logiques en évaluation de programme, la différence étant que l’on considère plusieurs mesures à la fois, cette combinaison de mesures étant nécessaire pour influencer les chaînes de causalité et le phénomène en cause (ex. mortalité sur les routes). Elle emprunte aussi aux modèles économétriques, où sont distinguées les variables endogènes, exogènes et celles sous contrôle du gouvernement, et à l’approche des déterminants en santé dans la prise en compte des déterminants externes .
Il resterait bien sûr beaucoup de travail de recherche à réaliser avant que cette avenue de l’évaluation systémique globale des grappes de politiques publiques ne soit applicable. Un tel mandat de recherche viserait par exemple à préciser le concept de satisfaction en science économique, à clarifier la notion de système au sein de la grappe, à asseoir la méthodologie permettant de réunir les données probantes (ex. rendements et élasticités) sous-jacentes à la qualification de la force des liens et des chaînes d’impact. Enfin, chacune des grappes aurait à être dessinée, ce qui requiert évidemment une expertise sectorielle.
Conclusion
Refaire toujours la même chose conduit généralement aux mêmes résultats, décevants dans le cas de l’évaluation traditionnelle des mesures d’intervention publique existantes (évaluation des mesures individuelles, avec ou sans consultation).
Cette approche pourrait être remplacée par celle de l’évaluation systémique globale de tous les types de leviers d’intervention de l’État. Elle consisterait en l’évaluation permanente d’une dizaine de grappes de politiques publiques, rejoignant l’essentiel des attentes de la population envers son gouvernement. Elle pourrait permettre, en première analyse, de mieux comprendre avant d’intervenir (penser globalement et agir localement), d’identifier les mesures et chaînes d’intervention les plus performantes (faire le plein de satisfaction), d’économiser sur celles qui le sont moins, de réaliser en simultané le processus évaluation-élaboration des politiques publiques et d’améliorer la communication gouvernementale sur les grands enjeux de société.
Beaucoup de travail de recherche reste toutefois à réaliser avant que cette avenue de l’évaluation systémique globale et des grappes de politiques publiques ne soit applicable et qu’il y ait ainsi une suite éventuelle au présent billet, car sortir des sentiers battus est exigeant!