Durant les «trente glorieuses» qui ont suivi la Deuxième guerre mondiale, il se trouvait plus d’un économiste, d’un éditorialiste ou d’un politicien pour déplorer que l’économie du Québec, comme celle de l’ensemble du Canada, soit trop concentrée dans le secteur primaire. Cette dépendance envers les ressources naturelles était vue comme un indice de retard économique et une source de grande vulnérabilité envers les marchés étrangers et les cycles économiques. Dans une chanson, Félix Leclerc référait aux Québécois comme étant «scieurs de bois et porteurs d’eau».
De fait, depuis l’époque de Champlain, les ressources naturelles ont joué un rôle prééminent dans l’économie du Québec. Les fourrures d’abord, puis le bois d’œuvre, les minéraux, les pâtes et papier et l’électricité ont tour à tour largement contribué à la création d’emplois, au développement des régions et au financement de l’État. À l’échelle canadienne, l’histoire économique est sensiblement la même avec en prime les hydrocarbures, la potasse et l’uranium.
Le secteur des ressources est cependant un peu moins important aujourd’hui au Canada qu’il ne l’était au lendemain de la Confédération (tableau 1). Ce déclin relatif est surtout apparent dans l’industrie forestière et dans les pêches. En revanche, les ressources du sous-sol ont pris une importance accrue, principalement du fait de l’extraction du pétrole et du gaz.
Tableau 1
Le secteur primaire au Canada (% du PIB)
1870[1] |
1980[2] |
2012[3] |
|
Industrie forestière |
9,6 |
0,8 |
0,2
|
Pêche et piégeage |
1,1 |
0,2 |
0,1 |
Mines, pétrole et gaz |
0,9 |
7,2 |
7,5 |
– dont pétrole et gaz |
n.d. |
n.d. |
5,4 |
TOTAL |
11,6 |
8,2 |
7,8 |
Ce recul relatif est attribuable, bien sûr, au développement considérable des secteurs de la fabrication et des services. Cependant, la présence du secteur des ressources demeure non négligeable puisque, à 7,8% du PIB, il représente toujours un des principaux secteurs de l’économie canadienne. Cette importance est cependant beaucoup plus faible dans le cas du Québec puisqu’elle se situe à moins de 3% même en y incluant l’agriculture (tableau 2). Le secteur primaire (agriculture et ressources naturelles) a en gros la même importance au Québec qu’aux États-Unis ce qui est a priori un peu étonnant compte tenu de la sophistication poussée de l’économie américaine. La statistique américaine reflète sans doute la forte production agricole du Midwest, du Sud et de la Californie. La différence est beaucoup plus marquée entre le Québec et le Canada étant donné l’importance de la production agricole, pétrolière, minière et forestière dans les provinces de l’Ouest.
Tableau 2
Le secteur primaire en % du PIB, 2007
Québec |
Ontario |
Canada |
États-Unis |
2,8 |
2,2 |
10,2 |
2,8 |
Source : CIRANO
Le secteur primaire est par contre plus important dans l’économie québécoise qu’il ne l’est dans celle de l’Ontario. Ainsi, le tableau 3 montre que le Québec est nettement plus concentré dans les produits issus des ressources naturelles que ce n’est le cas pour l’Ontario. La différence provient de la production d’aluminium et de la forte présence des secteurs forestiers et miniers au Québec. La différence est encore plus nette si l’on tient compte des produits du papier qui sont eux aussi dans une large mesure reliés aux ressources naturelles. Au total, plus de 45% de la production québécoise de biens serait liée aux ressources naturelles comparativement à moins de 30% en Ontario.
Tableau 3
Répartition des ventes de biens selon le type de produits, 2011 (%)
Québec |
Ontario |
Canada | |
Produits des ressources naturelles |
38,5 |
24,4 |
33,8 |
Papier et impression |
7,9 |
4,4 |
6,1 |
Autres |
53,6 |
71,2 |
60,1 |
Source : CIRANO
Le tableau 4 montre que le Québec demeure un chef de file mondial en ce qui concerne le papier journal et l’énergie électrique sous forme brute ou en lingot d’aluminium. Pour ces produits, il se situe parmi les 10 premiers exportateurs mondiaux. Il fait bonne figure également dans différents produits agricoles, miniers et métallurgiques.
Tableau 4
Rang du Québec parmi les pays exportateurs en 2011
Produits |
Rang mondial |
Part des exportations(%) |
Papier journal |
1 |
20,9 |
Aluminium, alliages bruts |
2 |
17,4 |
Minerais de fer et concentrés |
6 |
3,1 |
Papier à écrire non couché |
6 |
5,9 |
Fils de cuivre |
8 |
5,6 |
Énergie électrique |
9 |
3,4 |
Bois sciés |
10 |
2,4 |
Viande de porc |
10 |
3,9 |
Source : Ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, Le calepin du commerce extérieur, 2012.
Cette importance des ressources naturelles dans l’économie québécoise ne semble pas près de se résorber. Ainsi, au cours des dernières années, la production minière a augmenté rapidement au Québec sous l’effet de la demande accrue provenant des économies émergentes (tableau 5). Déjà importante, la production du sous-sol québécois pourra augmenter encore advenant la découverte et la mise en production de gisements pétroliers et gaziers.
Tableau 5
Expéditions de minéraux au Québec
(Millions de dollars)
Source : Ministère des Finances et de l’Économie, Investir pour assurer notre prospérité – La vision économique du gouvernement, 2012, p49.
Selon certaines projections, le Canada sera avec la Russie un des seuls pays à tirer un bénéfice net des changements climatiques, notamment par l’allongement de la saison végétative et grâce à l’augmentation de la pluviosité. Il pourrait en résulter des rendements accrus de la forêt québécoise. Celle-ci compte présentement pour 2% du couvert forestier mondial. Cette importance relative pourrait s’accroitre dans un contexte de déforestation accélérée ailleurs sur la planète.
Dans l’avenir, le Québec pourrait aussi compter sur deux ressources abondantes mais sous-estimées jusqu’à maintenant, soit l’eau et le vent. Dans les deux cas, le Québec peut compter sur un important potentiel.
Tous les experts prédisent une pénurie prochaine d’eau douce dans la plupart des pays sous l’effet du réchauffement climatique, de l’irrigation des sols, de l’industrialisation, de la croissance démographique, de la hausse des niveaux de vie et de la pollution. Or, le Québec dispose de 3% des réserves d’eau douce de la planète alors que sa population ne représente que 0,1% de la population mondiale. La Québec voudra-t-il tirer parti de sa situation privilégiée en exportant une partie de son eau ou en attirant des industries exigeant de grandes quantités d’eau? Voudra-t-il au contraire préserver l’intégralité de cet actif compte tenu de son rôle crucial dans l’équilibre écologique?
Le potentiel éolien du Québec est également élevé. Il s’agit d’une ressource beaucoup mieux répartie que l’eau à l’échelle mondiale mais le Québec dispose d’un avantage comparatif par le jumelage possible de l’éolien avec l’hydroélectricité. Pour l’exploitation de ce potentiel, tout sera fonction de l’évolution des coûts relatifs des différentes filières énergétiques dans le nord-est de l’Amérique du Nord.
En somme, même si la fabrication et les services occupent maintenant une place prépondérante dans l’économie québécoise, cette dernière est encore largement tributaire des ressources naturelles, notamment pour le développement des régions moins urbanisées et pour l’équilibre de sa balance commerciale. Et tout indique que les ressources naturelles constitueront toujours un des piliers de l’économie québécoise à moyen et à long terme. Les Québécois pourront continuer de scier du bois et de porter de l’eau. Le défi pour eux sera de faire plus avec leur riche dotation naturelle.
[1] COUTURIER, Jacques Paul, en collaboration avec Réjean Ouellette, L’expérience canadienne des origines à nos jours, Beauchemin, 2002, p191.
[2] F.J. ANDERSON, Natural Resources in Canada – Economic Theory and Policy, Methuen, 1985, p13.
[3] Statistique Canada.