La proposition du nouveau gouvernement du Québec d’augmenter les impôts des particuliers les plus riches afin de combler la perte de revenus découlant de l’abolition de la taxe santé a déjà fait couler beaucoup d’encre. J’ai décidé d’en faire couler un peu plus afin d’ajouter quelques arguments au débat.
Je précise d’emblée que la question qui me préoccupe dans le cas présent ne porte pas sur l’objectif d’équité de la nouvelle mesure fiscale, mais sur son efficacité. L’estimation du gouvernement à l’effet que les deux nouveaux paliers d’imposition rapporteront 600 millions de dollars en revenus fiscaux supplémentaires me semble optimiste en raison des changements dans le comportement des particuliers que la nouvelle mesure fiscale pourrait provoquer. De nombreuses recherches, réalisées à l’international comme au Canada, ont montré non seulement que tous les salariés réagissaient aux modifications apportées au taux marginal de l’impôt sur le revenu, mais que ceux dont les revenus sont les plus élevés le faisaient davantage[1]. L’augmentation du taux marginal d’imposition peut se traduire par une baisse du nombre d’heures travaillées, puisqu’à partir d’un certain seuil, les heures supplémentaires rapportent moins. Mais surtout, il incite davantage les particuliers à chercher à réduire leur revenu imposable. On ne parle pas ici d’évasion fiscale : il existe une panoplie de moyens, tout à fait légaux, pour ce faire : favoriser les avantages sociaux non imposables, plutôt que la rémunération imposable, par exemple. Ou encore, changer de statut de travailleur, passant par exemple de travailleur salarié à travailleur autonome ou même à chef d’entreprise, selon les économies d’impôts en jeu. Ces changements de comportement ont pour effet de réduire les gains résultant d’une telle mesure fiscale.
Si l’exode des hauts salariés évoquée par certains me semble peu probable à court et moyen terme, le départ d’un certain nombre d’entre eux ne m’apparaît pas impossible à plus long terme. Or, comme toutes les économies avancées, le Québec a besoin de travailleurs hautement qualifiés, d’autant plus qu’avec le vieillissement de la population, son bassin de main-d’œuvre rétrécit. Non seulement la nouvelle mesure fiscale risque-t-elle d’encourager le départ d’une partie de cette main-d’œuvre, elle pourrait également restreindre son entrée. De fait, pour attirer les meilleurs candidats, le Québec rivalise avec de nombreux concurrents et les conditions fiscales figurent au nombre des critères de sélection. Avec son plus haut palier d’imposition supérieur de 9 % à celui de l’Ontario, le Québec risque de perdre des ressources au profit de sa voisine. L’argumentation pourrait également s’étendre aux entreprises, qui pourraient hésiter à s’installer au Québec de crainte de ne pas réussir à attirer la main-d’œuvre qualifiée dont elles ont besoin ou de devoir lui offrir une rémunération très élevée. Certes, les déterminants du choix de la localisation des entreprises et de la terre d’accueil des étrangers sont nombreux et le Québec dispose de plusieurs autres atouts, mais la fiscalité constitue un élément significatif.
L’idée de taxer davantage les contribuables les plus riches est de plus en plus populaire, surtout dans un contexte où les gouvernements ne savent plus à quel saint se vouer pour atteindre l’équilibre budgétaire. Il me semble cependant incertain que la mesure parviendra à combler le manque à gagner résultant de l’abolition de la taxe santé. Si elle entraîne une détérioration des finances publiques et rend le secteur privé moins compétitif, ses effets pourraient être négatifs pour la classe moyenne et les moins biens nantis, contrairement à l’objectif visé.
Il y a souvent un difficile arbitrage à faire entre l’équité et l’efficacité des mesures fiscales et je reconnais que la tâche du gouvernement n’est pas facile. La mesure fiscale proposée est peut-être appropriée, mais d’autres options pourraient lui être préférables. Le gouvernement pourrait poursuivre sa réflexion sur la meilleure façon de combler la perte de revenus associée à l’abolition de la contribution santé qui, il faut le rappeler, visait à limiter la croissance des dépenses en santé afin d’équilibrer les finances publiques.
Note : je remercie Jean-Pierre Aubry, Jean-Claude Cloutier, Charles Carrier, Jean-Michel Cousineau, André Delisle, François Dupuis, Pierre Fortin, Luc Godbout et Pierre-Paul Proulx de leurs judicieux commentaires.