Si l’objectif en pensant à la conception de ce blogue était au départ de mettre un peu de rationalité dans un débat qui est devenu beaucoup trop émotif, avouons que le climat s’y prête mal au moment où la loi spéciale fait monter l’émotivité d’un cran encore, éloignant d’autant l’élément rationnel, pourtant nécessaire, à la résolution du conflit.
Tentons néanmoins de reprendre le tout depuis le début, la hausse des droits de scolarité découle d’un constat partagé sur le sous-financement universitaire, évalué à 400 millions $ par année.
Pour corriger la situation, le gouvernement a proposé une hausse des droits de scolarité. D’abord, 325 $ par an pendant cinq ans dans le budget de mars 2011. Puis devant la persistance du conflit, le gouvernement l’a remodelé, le 27 avril dernier, à 254 $ annuellement sur sept années. Il s’agit d’une hausse annuelle moyenne de 8,9 %. Même si étudier à l’université est un investissement fort rentable, une telle hausse peut être vue comme étant potentiellement dommageable pour l’accès aux études universitaires. Dans la réalité québécoise, augmenter les droits de scolarité n’a de sens qu’en bonifiant l’aide financière aux études (AFE). Or, elle a justement été bonifiée de diverses façons.
L’heure n’est pas aux reproches, le débat est déjà assez tendu comme ça, mais force est de constater que le gouvernement n’a pas su communiquer sa stratégie pour garantir, et même améliorer, l’accès aux études universitaires. Du côté des fédérations étudiantes, ça a pris beaucoup de temps avant de pleinement considérer les gains obtenus. Dans un cas comme dans l’autre, les efforts pour communiquer les bonifications de l’AFE sont arrivés trop tardivement.
Pour bien saisir l’ampleur des bonifications apportées à l’aide financière aux études, il importe de rappeler en premier lieu que chaque étudiant boursier selon les règles en vigueur avant la hausse est pleinement compensé par une bourse majorée couvrant la totalité de la hausse des droits de scolarité.
Qui plus est, pour un étudiant pour lequel les revenus des parents doivent être considérés, le seuil à partir duquel une contribution parentale est requise a également été rehaussé de 28 389 $ à 35 000 $ en mars 2011 puis à 45 000 $ en avril 2012. Ce faisant, si un étudiant universitaire perdait l’accès à une bourse dès lors que ses revenus parentaux excédaient 46 000 $, les modifications ont pour effet de rendre une bourse possible jusqu’à 72 000 $ de revenus parentaux. Il s’agit d’un changement majeur qui répond directement à une revendication de longues dates des fédérations étudiantes.
Grâce à ces changements, le nombre de boursiers universitaires sera en augmentation. Ils passeraient de 46 000 qu’ils étaient en 2008 à 75 000 en 2018, un bond de loin supérieur à l’augmentation de la fréquentation universitaire. Parmi les boursiers universitaires en 2018, les modifications feront en sorte que plus de la moitié recevraient une bourse dont la hausse excèdera l’augmentation des droits de scolarité et près de 40 % verraient leurs bourses augmenter dans la même proportion que la hausse des droits de scolarité. Enfin, autour de 10 % des étudiants recevraient une bourse qui couvrira partiellement la hausse des droits de scolarité. Pour ces derniers, il faut souligner qu’avec les paramètres antérieurs, ils ne recevaient aucune bourse.
Il faut également souligner que même s’ils ne subissent pas la hausse des droits de scolarité les étudiants qui fréquentent les cégeps et même ceux en formation professionnelle au secondaire bénéficient aussi du rehaussement du seuil de contribution parentale. Pour ces derniers, comme la vaste majorité d’entre eux ne fréquenteront pas l’université, il s’agit d’une amélioration claire de la couverture de l’AFE.
Sans entrer dans les détails, ajoutons les autres améliorations de l’AFE telle la bonification de programme de remboursement différé, la promesse de mettre en place d’un programme de remboursement des prêts proportionnel au revenu et la possibilité d’avoir des prêts additionnels pour les étudiants dont le revenu parental oscille principalement entre 45 000 $ à 120 000 $.
De toute évidence, les gains sont manifestes.
Prenons une famille gagnant autour de 54 000 $ en 2012. Actuellement, l’étudiant au premier cycle universitaire à temps complet n’aurait pas droit à une bourse de l’AFE. En 2018, même si le revenu parental progresse à 60 000 $ pour tenir compte du coût de la vie, une bourse serait dorénavant possible de près de 2 300 $ faisant réduire le coût net de ses droits de scolarité comparativement à avant la réforme.
Le résultat est le même si cet étudiant gagne un revenu de 5 000 $, une bourse sera toujours possible en 2018 contrairement en 2012 et elle couvrira 80 % de la hausse des droits de scolarité.
Passons maintenant à l’entente de principe du 5 mai, survenu après un marathon de 22 heures, visant à mettre en œuvre un conseil provisoire des universités devant conduire à un examen de certaines dépenses universitaires où chaque dollar d’économie identifié devait servir à réduire les frais afférents. Cette entente aurait dû constituer le gain ultime. Bien sûr, on peut déplorer les propos tenus de part et d’autre dans les heures qui ont suivi l’entente. Reste que cette entente n’est pas mauvaise en soi, au contraire. Encore une fois, un problème de communication apparait dans la manière dont elle a été rédigée et transmise, car même s’il était permis d’anticiper qu’elle serait lue par des milliers d’étudiants, rien dans son contenu ne met en valeur les gains à l’AFE.
Je suis peut-être trop naïf, mais je m’accroche aux propos de la ministre de l’Éducation qui dit vouloir poursuivre les discussions avec les fédérations étudiantes. C’est sûr qu’il est relativement tard pour discuter, mais il est encore souhaitable de chercher une entente de principe mettant en valeur les gains réalisés dans l’AFE et quelques précisions sur le conseil provisoire des universités. Cela reste la meilleure sortie de crise qu’il soit possible d’imaginer.
Luc Godbout est professeur à l’Université de Sherbrooke et chercheur à la Chaire en fiscalité et en finances publiques
Twitter : @Luc_Godbout
Ce texte a été publié par l’auteur comme une chronique dans le Journal La Tribune en mai 2012.