Le PIB réel et l’emploi sont les deux principaux indicateurs macro-économiques utilisés pour déterminer l’occurrence d’une récession au Canada. S’ajoute à cela trois critères : la durée, l’ampleur et la portée de la contraction de l’activité économique. Cette méthode à deux variables et trois critères a été développée chez Statistique Canada, et le Conseil sur les cycles d’affaires de l’Institut C.D. Howe l’a fait sienne lors de sa création en 2012.
Or, le premier semestre de 2015 s’avère un beau cas à étudier à partir de cette méthode. L’emploi total, selon l’Enquête sur la population active (EPA), au premier semestre, et le nombre de salariés, selon l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures travaillées (EERH), au cours des quatre premiers mois, sont à la hausse depuis le début de 2015. Le PIB réel, au contraire, s’est contracté de peu (0,1 %) au premier trimestre, ce qui a amené plusieurs économistes à avancer depuis la fin juin que le Canada est probablement en récession et ce, d’autant plus que le PIB réel par industrie s’est de nouveau contracté en avril dernier et que d’autres indicateurs mensuels laissent croire que le deuxième trimestre affichera, lui aussi, une légère baisse du PIB réel. Ces économistes retiennent l’approche populaire voulant qu’au moins deux trimestres consécutifs de contraction du PIB réel égalent récession, sans égard à l’ampleur et à la portée de la contraction.
La Banque du Canada estime que le PIB réel s’est de nouveau contracté de 0,1 % (0,5 % en rythme annuel) au deuxième trimestre. Si cette prévision se réalise, le PIB du Canada aura donc affiché deux trimestres de suite une baisse ne représentant approximativement qu’un millième de sa production de biens et services. En outre, Statistique Canada révise régulièrement ses données. Une correction du PIB ayant pour effet de modifier de 0,1 point de pourcentage son taux de variation est anodine. Toutefois, si la variation passe d’une baisse de 0,1 % à zéro qu’advient-il de la détermination de récession? Comment peut-on justifier qu’une baisse de 0,1 % du PIB réel, qui pourrait être effacée par une simple révision, puisse, à elle seule, servir de bien-fondé ou de point de départ d’une récession?
Par ailleurs, quoi faire lorsque les deux principales variables (PIB et emploi) envoient, du moins pour l’instant, des signaux contradictoires sur l’évolution de l’économie? Il faut forer dans les données et les analyser en s’inspirant des trois critères mentionnés ci-dessus et en gardant à l’esprit les interrogations suivantes. La hausse de l’emploi total dissimule-t-elle des chocs importants selon les provinces et les industries? La contraction du PIB est-elle généralisée ou limitée? Comment des industries traditionnellement cycliques comme la fabrication et la construction évoluent-elles? La baisse de la production dans certains domaines est-elle due à la conjoncture ou à des facteurs structurels ou encore au climat (hiver rigoureux, feux de forêt, etc.)?
Voici quelques observations, à partir des statistiques disponibles, qui vous aideront peut-être à porter votre propre jugement sur l’occurrence d’une récession :
– Tant au Canada dans son ensemble qu’en Ontario, la formation brute de capital fixe (investissements en immobilisations) est le seul agrégat du PIB qui diminue de façon significative au premier trimestre. Est-ce suffisant pour prétendre que l’ensemble de l’économie amorce une récession? Ajoutons à cela que le ministère des Finances de l’Ontario explique la diminution de 0,1 % de son PIB réel au premier trimestre par l’hiver particulièrement rude, ce qui ne se reproduira pas, bien évidemment, au cours des mois à venir.
– Les statistiques du PIB réel par industrie pour les quatre premiers mois montrent une diminution importante de la production dans l’industrie des mines, du pétrole et du gaz, notamment en mars et en avril, et une baisse dans la construction et la fabrication.
– L’examen des données des quatre premiers mois sur l’emploi à partir de l’EERH nous indique que la hausse du nombre total de salariés ne cache pas de surprise à la baisse. Sur le plan des industries, il y a, comme on peut s’y attendre, une baisse importante des emplois dans celle des mines, du pétrole et du gaz et, dans une moindre mesure, une diminution dans la construction. Par province, il y a une nette tendance à la baisse du nombre de salariés en Alberta. En outre, c’est dans cette province que l’on retrouve une bonne part de la baisse au Canada des emplois dans l’industrie mines, pétrole et gaz et dans l’industrie de la construction. Une concentration aussi élevée de la baisse de l’activité dans une province peut-elle entrainer un diagnostic de récession pour l’ensemble du Canada?
En somme, gare aux conclusions hâtives sur les cycles économiques. Anticiper une récession à partir uniquement d’une variable (PIB réel) et d’un critère (la durée) a quelque chose d’hasardeux, en particulier si la variation de cet indicateur est faible et sujette à révision. Un diagnostic de récession ne devrait-il pas s’appuyer sur un examen et une analyse rigoureux des statistiques, sur l’identification des causes des variations et sur une méthode de travail éprouvée, bien que perfectible, et le tout sans précipitation inutile?