UNE HYDRO-QUÉBEC DE LA SANTÉ?

La croissance des dépenses et les problèmes d’efficacité du système incitent plusieurs à recommander la création d’une sorte d’Hydro-Québec dépolitisée des soins de santé. Ceci permettrait des décisions par des experts ou professionnels du secteur. Cela a été soulevé dans le Rapport Clair (2000)[i] :

La structure ministérielle telle qu’on la connaît depuis 1970 est-elle toujours adaptée au contexte actuel pour agir comme principal instrument de gouverne en fait d’administration globale de l’offre de services ? Ne faudrait-il pas créer une agence ou une société publique dotée d’un conseil d’administration hautement crédible pour coordonner l’administration de l’offre de services, en conformité avec les orientations et les budgets décidés par le gouvernement, auquel cas le ministère, ainsi allégé, verrait plutôt à élaborer les politiques, à définir les standards et à évaluer les résultats ? (p. 214)

    La création d’une société publique exprime une volonté de dépolitiser le secteur, qui demeure financé à plus de soixante-dix pour cent  par le gouvernement. En 2010-2011, les dépenses de santé et de services sociaux représentaient 42,7 pour cent des dépenses budgétaires. Cette mise sur pied d’une Santé-Québec  refuse  la dynamique politique dans la mission gouvernementale la plus importante. Une société publique à l’exemple d’Hydro-Québec demeure néanmoins une institution qui n’est pas complètement isolée de la politique.

Comment l’ajustement d’un secteur se fait-il ? En 1970, le social scientist Albert O. Hirschman publiait un petit livre intitulé : Exit, Voice and Loyalty : Responses to Decline in Firms, Organizations, and States. Le titre demeure encore aujourd’hui très évocateur. Que nous dit-il ?

Les processus décentralisés des marchés, qui sont fort étudiés par les économistes, favorisent la voie de l’exit ou du vote par les pieds pour manifester son mécontentement. Si je ne suis pas satisfait de mon supermarché (Métro par exemple), je ne prends pas l’initiative d’une pétition ou d’une contestation; je vais tout simplement chez un concurrent (comme Provigo), en faisant une action individuelle.

Les processus politiques, qui intéressent les politicologues mais non d’une façon exclusive, concernent des décisions de groupes. Le citoyen doit prendre la voie de l’action collective pour exprimer ses préférences. Au lieu de l’exit ou de la mobilité, le citoyen doit recourir à la voix (voice), c’est-à-dire aux manifestations vocifératrices. Il est important de bien savoir jouer du tam-tam.

Dans ce contexte, la notion de crise devient centrale pour comprendre les ajustements dans un système centralisé. La crise peut être réelle ou fictive, mais c’est elle qui fait bouger le système et entraîne des ajustements.

Les différents rapports ou déclarations de sages qui dénoncent le poids des crises appréhendées dans la gestion du système de santé refusent à mon avis la logique d’un système centralisé qui le demeure par son financement. Ceci est bien résumé par cette phrase : He who pays the piper calls the tune.

Comme les prix, qui sont le mécanisme d’ajustement décentralisé, les crises, réelles ou non, jouent le même rôle dans ces systèmes centralisés. Elles font bouger le système ou les normes. Les crises sont inhérentes au jeu politique.

La création d’une société publique de la santé ne dépolitise donc pas le système mais concentre davantage les décisions. Cela ne le rend-il pas plus vulnérable et moins flexible en favorisant davantage les solutions mur à mur?

 

BIBLIOGRAPHIE

BÉLANGER, Gérard et Jean-Luc MIGUÉ. 2009 (mars). «Recension du Manifeste pour une social-démocratie concurrentielle par Marcel Boyer ou comment faire aboyer les chats?»,  L’Actualité économique. Revue d’analyse économique, 85, 1, p. 121-127.

HIRSCHMAN, Albert O. 1970. Exit, Voice and Loyalty: Responses to Decline in Firms, Organizations, and States. Cambridge MA : Harvard University Press ; traduit en 1972 sous le titre Face au déclin des entreprises et des institutions. Paris : Éditions ouvrières.

Rapport Castonguay-Marcotte-Venne. Groupe de travail sur le financement du système de santé. 2008. En avoir pour votre argent. Québec : Gouvernement du Québec. (http://www.anq.qc.ca/Documents/RapportFR_FinancementSante.pdf) consulté le 15 février 2012.

Rapport Clair. Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux. 2000. Les solutions émergentes : rapport et recommandations. Québec : Ministère de la Santé et des Services sociaux.

(http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/2000/00-109.pdf) consulté le 15 février 2012.

 


 


[i]  Également mais en prenant toutefois une autre voie, le Rapport Castonguay-Marcotte-Venne  « recommande  que le ministère de la Santé et des Services sociaux se dégage de la production des soins proprement dits » (p. 174) en déconcentrant les décisions de production vers  les agences régionales et les autres institutions de santé  et en favorisant la méthode d’achats de services ou de contrats. Pour une évaluation  de cette approche, voir Bélanger-Migué (2009).