UNE LEÇON D’HUMILITÉ POUR ÉCONOMISTES

C’est motivant d’écrire régulièrement des textes pour ce blogue. Les différentes questions sont «solutionnées» en moins de mille mots. Il est toutefois avantageux de prendre périodiquement des pauses et de laisser la parole à des économistes de calibre supérieur, ici des détenteurs de prix Nobel. Les citations concernent et même dénoncent les perceptions de plusieurs économistes au sujet de l’inefficacité des organisations privées et publiques.

Le « critère d’être remédiable »

 Récemment, Oliver Williamson a résumé les contributions de sa carrière; l’une d’elles se nomme le «critère d’être remédiable». Que signifie-t-il ?

Une […] inquiétude que j’ai est la propension de nombreux social scientists, y compris des économistes, d’attribuer l’inefficacité aux activités qui sont au-dessous d’un idéal hypothétique, alors que la comparaison pertinente est avec les autres solutions réalisables. Le «critère d’être remédiable» est conçu pour corriger contre de telles pratiques. Le critère est le suivant : un mode existant d’organisation ou de pratique, pour lequel (1) aucune alternative réalisable supérieure ne peut être décrite et (2) mise en œuvre avec des gains nets attendus, est (3) présumé être efficace. Certes, ce dernier est une présomption réfutable — en ce qu’il peut y avoir des obstacles abusifs à certaines alternatives supérieures réalisables. Si on ignore un tel abus, un mode existant ne doit pas être décrit comme inefficace, sauf si une alternative supérieure possible est décrite pour laquelle les gains nets seront réalisés après que les coûts de mise en œuvre furent pris en compte.

Une autre façon de l’exprimer est la suivante : une attention systématique devrait être dirigée vers les mécanismes de mise en œuvre et vers les coûts qui sont associés à des projets dignes de rechange – qu’ils soient publics et privés. Une politique publique qui ignore le critère d’être remédiable n’a pas fait ses devoirs. (p.136)

La détermination des coûts de mise en œuvre des différents projets de rechange relèvent peu de la théorie, mais plutôt de considérations du monde réel avec la présence de diverses frictions. Les professeurs ont généralement tendance à les ignorer dans leur enseignement. Ronald Coase a qualifié cela d’»économique du tableau noir» (en termes d’aujourd’hui, d’économique du PowerPoint) :

La politique étudiée est celle qui est mise en œuvre sur le tableau noir. Toute l’information nécessaire est supposée être disponible et l’enseignant joue toutes les pièces. Il fixe les prix, impose des taxes, et distribue des subventions (sur le tableau noir) pour promouvoir le bien-être général. Mais il n’y a pas d’équivalent à l’enseignant au sein du système économique réel.

Le critère d’être remédiable apparaît comme une application de l’approche des coûts de transaction à l’intérieur des organisations. Laissons à Williamson la tâche de résumer cette approche :

À l’encontre de l’approche standard de l’organisation économique, l’économique des coûts de transaction est une approche contractuelle comparative mettant l’accent sur les propriétés suivantes : (1) l’unité d’analyse est la transaction (dont les dimensions principales sont nommées et expliquées); (2) le principal problème de l’organisation est l’adaptation, dont, on distingue les types autonomes et les types coordonnés d’adaptation; (3) tous les contrats complexes sont incomplets (en raison de la rationalité limitée), et les cas extrêmes dont les enjeux sont considérables invitent la défection de l’esprit de coopération (en raison de l’opportunisme); (4) la gouvernance est le moyen d’insuffler l’ordre, afin d’atténuer les conflits et de réaliser des gains mutuels; (5) économiser sur les coûts de transaction est le principal objectif de l’organisation, ce qui est accompli en (6) alignant les transactions – qui diffèrent sur leurs attributs – avec les structures de gouvernance, qui diffèrent par leurs coûts et leurs compétences, de manière à réaliser des résultats efficaces. (p. 134)

La transposition au secteur public

 Si l’approche des coûts de transaction donne une perspective plus réaliste des organisations et des multiples instruments pour y affronter les problèmes, existe-t-il une équivalence pour le secteur public ?

Les politiques publiques suivent peu les critères de la morale économique qui vise pourtant à augmenter la grosseur du gâteau et, par conséquent, à minimiser le gaspillage. Même si le résultat engendré par les règles du jeu politique implique du gaspillage, ce dernier n’est en lui-même recherché par personne. S’il n’y avait aucun gagnant à la réduction du gâteau ou de la richesse collective, cette réduction n’aurait sûrement pas lieu. C’est ce qui fait dire à Gary Becker (1985) : «Si l’intention des politiques publiques était entièrement connue, je suis assuré que le secteur public se révélerait un producteur et un redistributeur beaucoup plus efficace qu’on ne le croit généralement». (p. 338)

La recherche de votes pour conquérir le pouvoir demande aux partis politiques de réconcilier de multiples objectifs souvent contradictoires. Il n’est donc point surprenant que les politiques apparaissent comme incohérentes pour la personne de l’extérieur qu’est un économiste. C’est comme si on appliquait les règles du jeu de bridge quand c’est une partie de poker qui a lieu.

Conclusion

Face au mode réel, il y a deux voies : le comprendre ou le réformer. La première est la tâche fondamentale de l’économiste.