Une nouvelle social-démocratie?

Le 24 octobre dernier avait lieu à Montréal une journée de réflexion sur le thème «Pour une social-démocratie renouvelée». Organisée par François Delorme, président sortant de l’Association des économistes québécois, la journée débutait par un colloque qui a attiré quelque 150 participants. Elle se poursuivait avec la présentation de «République : un abécédaire populaire» un film d’Hugo Latulippe donnant la parole à une trentaine de leaders politiques, culturels et intellectuels.

Dans son allocution  d’ouverture du colloque, madame Sophie Heine, de l’université libre de  Bruxelles, a plaidé pour une prise de conscience par les individus qu’ils  pouvaient trouver leur compte en appuyant des politiques progressistes. Elle a  cependant récusé toute approche reposant sur des transferts massifs de  ressources entre les classes sociales. Selon elle, il faut chercher un  équilibre entre une présence réaffirmée de  l’État et une grande liberté de choix pour les individus. Cet équilibre est-il possible ou s’agit-il d’un oxymore? Quoi qu’il en soit, on est loin de la social-démocratie telle qu’elle était perçue au cours des «trente glorieuses»  de l’après-guerre.

La social-démocratie se voulait à cette époque une solution de rechange au communisme qui exerçait  un fort pouvoir d’attraction dans plusieurs des pays d’Europe qui n’étaient pas  déjà partie de l’empire soviétique. Elle prétendait satisfaire les besoins de progrès social tout en conservant la démocratie, d’où son appellation. On la qualifia aussi d’État providence du fait qu’elle prenait le relais de l’Église qui n’avait plus la légitimité ou les moyens de continuer d’assurer une large panoplie de services éducatifs et sociaux. Depuis les chutes du Mur et de l’URSS, les inégalités de revenus se sont beaucoup accrues dans la plupart des pays. L’attrait du communisme auprès des masses n’est plus là pour faire peur aux possédants et aux dirigeants politiques. Ils ne sentent plus l’urgence de faire des concessions pour apaiser la grogne populaire.

Au moment où de plus en plus de citoyens partout dans le monde expriment leur ras-le-bol indigné, certains conférenciers ou panélistes ont noté que la crise amorcée en 2008 marquait maintenant l’échec du néo-libéralisme et ouvrait la porte à un meilleur partage des fruits de la croissance.

Pourtant, les interventions au cours du colloque et du film ont peu porté sur les inégalités de revenus ou sur le besoin de partager la richesse. Cela tient peut-être à ce que le Québec représente une exception notable en matière d’inégalités. Celles-ci n’y ont guère crû au cours des dernières décennies grâce à une fiscalité progressive et à l’apparition de nouveaux programmes de transferts tels les garderies subventionnées ou l’assurance parentale. En revanche, plusieurs des récriminations entendues lors du colloque et du film ont porté sur les lacunes de notre système de représentation politique. Ainsi, l’appel à un système électoral proportionnel est revenu comme un leitmotiv au cours de la journée. Laure Waridel a déploré la chute vertigineuse des taux de  participation aux élections. D’autres, dont Paul Saint-Pierre Plamondon, ont dénoncé l’existence d’une culture de «Bougons» qui fait que trop de Québécois essaient de passer à côté des règles communes. Faisant  écho à la présentation de madame Heine, Pierre Fortin s’est interrogé sur la façon de réhabiliter l’État aux yeux des Québécois.

Certains, dont Gérald Larose, ont avancé que l’appartenance régime fédéral canadien empêchait de plus en plus la mise en œuvre d’un projet de société reflétant les valeurs québécoises. Le sociologue Gilles Gagné a semblé de cet avis quand il a déploré que les gouvernements renoncent à leur responsabilité d’exprimer la nation et se cantonnent dans des rôles purement utilitaires. D’autres étaient cependant d’avis que le statut actuel du Québec permet d’agir suffisamment. S’appuyant sur l’expérience européenne, madame Heine a rappelé que les projets identitaires pouvaient conduire à des dérives. Bref, mais peut-être cela est-il tributaire du contexte politique actuel, les intervenants du colloque et du film ont accordé plus d’importance au volet «démocratie» qu’au volet «social» de la social-démocratie.

Plusieurs des intervenants ont par ailleurs appelé de tous leurs vœux l’émergence d’un projet collectif pouvant faire rêver. Mais, comme pour bien montrer que le diptyque social-démocrate est dépassé, ils ont pour la plupart affirmé que ce projet de société devait se préoccuper d’abord de l’urgence climatique. Madame Waridel a d’ailleurs invoqué la nécessité de ne plus se limiter au seul PIB pour juger du progrès de la société. Elle rejoignait en cela le plaidoyer récent d’Harvey Mead, ancien Commissaire québécois au développement durable, en faveur d’indicateurs tenant compte, entre autres éléments, des conséquences sociales et environnementales de l’activité économique[1].

En somme, la social-démocratie ne sera peut-être plus jamais ce qu’elle était. Si pendant longtemps elle a été assimilable aux transferts de revenus opérés par l’État, elle est maintenant interpelée davantage par la gouvernance politique et la sauvegarde de la planète. C’est du moins l’opinion de l’élite pensante et militante qui se réunissait le 24 octobre dernier à quelques coins de rue de la «place du Peuple».

Couverture médiatique de la journée du 24 octobre


 


[1] HARVEY MEAD, L’indice de progrès véritable du Québec – Quand l’économie dépasse l’écologie, Éditions MultiMondes, 2011.